Uncharted
Avec six films à son actif en vingt-deux ans de carrière, James Gray est un réalisateur qui sait se faire désirer. Dans The Lost City of Z, Gray abandonne la jungle New-Yorkaise qu’il connaît si bien...
le 19 mars 2017
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La jungle, c’est cool. James Gray, c’est cool. Les deux ensemble, ça ne peut être que génial. Voilà ce qui m’a fait entrer dans la salle, tout assuré que j’étais de me prendre la claque réglementaire (et après avoir parcouru les critiques dithyrambiques qui pullulent partout). Le film commence : regardez-moi ces costumes d’époque, cette photo parcheminée, cette mise en scène élégante. Charlie Hunnam et Sienna Miller n’ont encore rien dit, mais ils ont de la gueule, comme d’habitude. Une chasse à courre commence. Vingt cavaliers et autant de chiens se lancent à la poursuite d’un cerf sur la propriété d’un grand château. Hunnam/Fawcett s’écarte deux secondes du groupe. « Ne va pas par là ! » crie son voisin. Il saute un muret. Il s’arrête. Majestic as fuck. Il tire. Le cerf est mort. Où sont passés les chiens, les autres chasseurs ? Apparemment, ils ont dû vouloir faire autre chose. Un truc cloche. Bon.
Le problème du biopic, c’est justement qu'un truc cloche souvent. C’est en fait même sa caractéristique première. Dans un biopic, il faut raconter la vie d’une personne. Par le menu. Dans l’ordre chronologique. Si possible en moins de deux heures et demie. Par des scènes courtes. Comme ces phrases. Le cerf est mort. Robert Pattinson arrive. Des indigènes tirent des flèches. Une panthère apparaît. Le fils de Fawcett grandit de dix ans. Sienna Miller chouine. Un mec dégueule sur son radeau. Il pleut dans la jungle. Pattinson arrache l’oreille d’un type. Des types dorment. On mange. Une chanson. Des tirs d’obus à la guerre. Une scène au tribunal. Sienna Miller chouine. Et puis alors, Hunnam, ouh là là. Qu’est-ce qu’il est impliqué, dites donc. Il n’est pas là pour rigoler. Sa moustache joue très bien. Si la qualité d’un biopic se mesure à l’ennui qu’il génère, facile de comprendre l’engouement autour de ce nouveau James Gray : c’est, d’assez loin, le film le plus chiant à l’affiche en ce moment.
The Lost City of Z roule allègrement sur les conventions de rythme d’un récit de fiction, et il en a le droit : c’est un biopic. Bien d’autres grands réalisateurs se sont prêtés au jeu avec succès et les lister n’aurait aucun intérêt. Mais le dosage diégèse/réalisme de cet exercice est rarement évident, et mieux vaut avoir les épaules solides pour s’en tirer… Ainsi et malheureusement, James Gray se plante dans les grandes largeurs. L’arythmie terrifiante est déjà un problème en soi, bringuebalant le spectateur d’une scène à l’autre sans la moindre logique temporelle ni dramatique, et ce en dépit (à cause ?) d’un déroulé strictement linéaire. L’alternance mécanique entre les séquences d’exploration dans la jungle et les séquences urbaines déroule une morne litanie de situations extrêmement prévisibles et molles. Plus grave, cette mollesse se répand jusque dans la structure même des scènes, qui n’offrent aucune prise au spectateur pour y raccrocher l’esprit. Pour un récit d’exploration, The Lost City of Z est un échec cinglant : toutes les scènes dans la jungle ou sur le radeau sont d’une médiocrité sans nom, avec des péripéties totalement incohérentes ou coupées à la truelle, des passages d’action illisibles et des personnages transparents. James Gray ne montre aucune disposition à capturer la nature, pas plus qu'il n'en montre à capturer son équipe d’extraordinaires explorateurs, tous plus unidimensionnels les uns que les autres.
Forcément tenus par des contraintes de durée, le scénario de Gray lui-même et le montage de John Axelrad et Lee Haugen charcutent massivement la plupart des séquences de suspense, qui sont soit cheap, soit honteusement coupées aux instants les plus intéressants. Il est fréquent que les personnages se tirent d’impossibles guet-apens préparés par des indigènes ou de l’attaque d’un animal sauvage, sans l’ombre d’une explication. Tout le monde se comporte de façon aberrante et illogique : que ce soit sous des tirs de flèches, à l’agonie sur leur bateau, en train de se chamailler pour des vivres, on ne croit à rien. Tout sonne fabriqué, faux, jusqu'à cet interlude Première Guerre Mondiale qui n'a tellement rien à faire là que ça en devient comique. Gray est un peu plus à l’aise dans les passages urbains et réussit à faire naître une ambiance parfois efficace, mais les dialogues sont souvent trop brefs et les scènes trop resserrées, empêchant du même coup de croire à l’histoire et d’avoir un minimum d’empathie pour les personnages. La famille de Fawcett, bien trop Colgate pour être honnête, s'y montre comme un produit typiquement hollywoodien qui n’a pas sa place dans le film et encore moins dans le cinéma de Gray en général. C’est particulièrement embêtant quand on considère la direction prise la fin, qui voudrait émouvoir par le destin de ses personnages alors qu’on n’a jamais pu s’attacher à eux…
Et puis mince, quand on fait un film dans la jungle, on se heurte forcément à certains modèles. Tout élégant qu’il soit, The Lost City of Z n’atteint même pas en rêve le niveau de perfection formelle d’un Vinyan, pour ne citer que lui. Lire et entendre partout autant de louanges sur le cadre vert et viscéral des terres sauvages filmées par Gray ne manque pas d’ironie quand on repense à quel point l’œuvre de Fabrice du Welz et Benoît Debie a été ignorée en son temps ; dans un genre différent, même The Green Inferno d’Eli Roth, qui avait beau être direct-to-video chez nous, réussissait à proposer une vision plus personnelle et ambitieuse des forêts équatoriales, que James Gray se contente de voir à travers un prisme orangé et des personnages sans saveur. Le fameux Robert Pattinson, invisible et inutile, n’y a pas plus de poids qu’un simple figurant : figurant de l’histoire, figurant de l’Histoire, finalement davantage instrument marketing comme le reste de la distribution et le production design, aussi flatteur que creux, de cette grosse machine biographique qui appelle par son sérieux et ses approximations la même indifférence lasse que celle qu’elle impose à son spectateur.
Créée
le 17 mars 2017
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