Le 8 décembre 2011, Monsieur Fraize se faisait virer de l'émission "On ne demande qu'à en rire" à laquelle il participait pour la dixième fois. Un événement de sinistre mémoire, lors duquel Ruquier, sur un speech suspicieusement préparé, lui reprocha son absence de travail et l'insulte que ses sketches de dilettante représentaient pour les autres comiques qui, eux, "travaillaient". Bien des années après, mesurons ensemble l'ironie que représente cette absence totale de nez, que dis-je, cette incompétence à dénicher un talent : un spectacle et quelques films plus tard, Marc Fraize a depuis tourné avec Michel Hazanavicius (Le Redoutable), Eric Judor (Problemos), et aujourd'hui Quentin Dupieux, qui lui offre l'un de ses rôles les plus importants. Au Poste ! rend même un hommage appuyé au Monsieur Fraize de l'époque Ruquier, avec une brève reprise du sketch le plus exaspérant de l'histoire de la télé qui ne pourra que faire sourire les fidèles du personnage.
Mais, car il y a un mais : le jury d'ONDAR n'avait pas tout à fait tort quand il raillait le "comique d'exaspération" du personnage, et, surtout, sa tendance à trop faire confiance à son talent. Je m'en rends compte aujourd'hui plus qu'hier, après avoir regardé Au Poste, qui est aussi le premier film entièrement francophone de Monsieur Oizo depuis Steak (il y a dix ans, tout de même). Monsieur Oizo, Monsieur Fraize : les deux Monsieur étaient probablement faits pour se rencontrer. En fait, ils ressemblent à s'y méprendre aux deux facettes d'une même pièce. Même humour absurde, même assurance un peu excessive, même côté provoc un peu vide malgré l'évidence du talent. L'attitude de Marc Fraize me semble à ramener à celle de Quentin Dupieux, qui n'ont sans doute pas travaillé ensemble par hasard tant leurs univers sont proches, et par extension certains de leurs défauts également. Oh, le film n'est pas mauvais, loin de là, j'ai même passé un assez bon moment. Mais pour son sixième long, j'en attendais un peu plus du cinéaste. Dans ses précédents films, assez similaires, Dupieux commençait à atteindre les limites de son concept crâneur de "no reason" à force de redites et de facilités d'écriture. Délocaliser l'action dans un commissariat franchouillard avec des têtes connues bien de chez nous suffit certes à relancer la machine, mais l'effet de surprise commence, pour ma part, à s'estomper.
Alors bien sûr, Au Poste ! regorge d'idées sympathiques. Le pitch de départ, mettant en scène un interrogatoire d'un témoin innocent par un flic trop coriace, fait miroiter mille et une merveilles. L'idée d'un huis-clos dans un commissariat est sympathique (avant qu'on réalise que le huis-clos n'est en fait pas si clos que ça, ce qui est également sympathique). Les effets absurdes de Dupieux sont rigolos. La manière dont il embrouille les temporalités est réussie sans être très originale. Quelques running gags étranges font mouche. Les dialogues, bien écrits, fusent avec tranchant et précision. Mais, paradoxalement, à aucun moment je ne me suis senti pleinement impliqué. Tel une Catherine Barma accrochée à son buzz chez Ruquier, j'ai passé plus d'une heure à attendre qu'une étincelle de génie ait lieu. Tout le film, j'ai attendu que Dupieux se libère de ses chaînes de petit génie paresseux qu'il se traîne depuis dix ans. Et puis, de guerre lasse, j'ai fini par voir dans "Au Poste !" la même perversion qui gangrène les autres films du musicien-cinéaste : cette espèce d'attitude marketing qui vend l'absurde par n'importe quel moyen, ce personal branding qui ne dit pas son nom mais qui irradie en permanence à l'écran d'une lumière légèrement mauvaise.
C'est sûr, ça a toujours l'air aussi (faussement) réfléchi, plein à craquer d'un discours méta qui fait toujours un peu illusion (et, dans le cas de ce film, jusqu'au générique de fin qui dévoile un élément majeur à travers un rôle bien précis...). Mais il manque toujours à Dupieux une forme de sincérité, un bourdonnement de passion ou d'intelligence, en tous cas quelque chose qui, derrière l'amusement pseudo-subversif de façade, donnerait l'impression de dire quelque chose de vrai. En l'état et finalement, comme Monsieur Fraize dans certains de ses sketchs : le talent est là, mais ça fait un peu branleur. Je vous rends l'antenne, Catherine.