J'ai toujours eu un énorme problème avec la saga The Witcher, une relation d'amour/haine qui ne s'est jamais démentie. D'un côté, en tant que joueur PC, je reste un fervent défenseur de CD Projekt grâce à GOG.com, auquel j'ai souscrit en 2009 (alors que le site s'appelait encore Good Old Games et ne sortait que des vieux jeux, autant dire une éternité) et qui, pour moi, l'emporte aujourd'hui sur Steam grâce à sa philosophie fondamentalement différente ; de l'autre, en tant que joueur de RPG, je n'ai jamais vraiment pu blairer les jeux de CD Projekt (c'est ballot). Si je les achète, c'est en fait davantage pour soutenir la société que pour m'amuser, puisque, autant le dire d'emblée, j'ai perdu tout espoir de m'amuser un jour sur un jeu Witcher. Le succès de cette série me semble à la fois très compréhensible, car la société polonaise a su développer au fil des ans un arsenal marketing impressionnant et peaufiner sa communication type « by gamers, for gamers », mais également très énigmatique puisque, j'ai beau creuser, hormis la beauté des graphismes, il n'y a pas grand-chose dans The Witcher depuis le 2 qui ressemble de près ou de loin à un bon jeu et a fortiori à un bon RPG. Voilà, c'est dit.


Autant le premier Witcher était sympa (notamment en raison d'une certaine humilité qui a, depuis, toujours fait défaut à la série), autant le deuxième a été pour moi une purge sans nom que je n'ai toléré de terminer que parce que je voulais absolument comprendre pourquoi les joueurs l'idolâtraient autant. Je vous renvoie à ma critique pour plus de détails, mais mon résumé de l'expérience serait que je n'ai jamais joué à un jeu aussi crâneur, aussi imbu de lui-même et pourtant aussi fragile que The Witcher 2. Rythme de jeu insaisissable, gestion de la difficulté complètement aléatoire, scénario verbeux et maladroit, système de combat bâtard et répétitif... en dix ans passés à arpenter le genre (à peu près) de long en large, je n'ai pas le souvenir d'avoir joué à un RPG aussi poseur sur la forme et aussi approximatif sur le fond. En fait, ses mécaniques étaient soit tellement pétées, soit tellement inutiles, soit tellement peu ergonomiques qu'en termes de plaisir de jeu, c'était zéro ; au point même que l'excellence de l'aspect technique a fini par m'apparaître provocatrice – drôle d'idée, pour un développeur de RPG qui se dit depuis toujours du côté des joueurs, de privilégier à ce point la forme au détriment du fond, et de s'en féliciter par-dessus le marché, parce que s'il y a bien un genre qui ne tolère pas l'approximation conceptuelle et où les joueurs sont prêts à pardonner une certaine modestie technique en échange d'une expérience vraiment travaillée, c'est précisément le RPG (il n'y a qu'à voir Fallout New Vegas sorti à la même époque pour s'en convaincre). CD Projekt, avec The Witcher 2, m'a donné l'impression d'avoir tout fait à l'envers. Plutôt deux fois qu'une même, avec la version Enhanced, qui n'a rien corrigé sur le fond et a ajouté encore plus de forme, comme un enrobage bien dégoulinant autour d'un cœur déjà bien trop gras.


J'ai acheté The Witcher 3 et me suis forcé à y passer quelques dizaines d'heures pour les mêmes raisons que le 2 : d'abord parce que je l'ai précommandé pour soutenir CDP, ensuite parce que l'hystérie critique le vendait quand même tellement bien qu'il aurait fallu être fou pour ne pas y jeter un œil. Une beta de GOG Galaxy, deux précommandes et douze téléchargements de goodies plus tard, me voilà donc devant The Witcher 3, prêt à en découdre et partant – malgré tout – avec quelques a priori positifs dont un 94% sur Metacritic.


Bon.


L'open world.


C'est à la mode. On en bouffe à toutes les sauces, pour n'importe quelle raison, c'est devenu une feature obligatoire pour qu'un parle d'un jeu ou, limite, qu'on y joue. Très bien. Autant c'est une mode agaçante dans certains cas, autant c'est particulièrement pertinent pour un RPG. Surtout, dans le cas de The Witcher, c'était la promesse d'un univers enfin maîtrisable par le joueur après les instances du 2, trop irrégulières en taille et en contenu pour qu'on se sente réellement maître de sa progression – ce level design indomptable était l'une des principales raisons qui m'ont fait haïr The Witcher 2. J'adore les mondes ouverts dans les RPG : ils permettent de rendre l'univers plus réaliste et de mieux y ressentir l'évolution de son personnage, puisque toute l'aventure a lieu dans une seule et même zone qu'on apprend à apprivoiser peu à peu. On est parfaitement dans la philosophie du jeu de rôle, qui reste au fond de dompter un environnement étranger à la force de son apprentissage et de ses choix, notamment d'exploration (déterminer dans quel ordre on explore les différentes parties du monde plutôt que se laisser porter par une succession préfabriquée de niveaux – c'était assez dingue d'ailleurs quand j'y repense, même en scriptant à mort la progression The Witcher 2 n'était pas fichu de proposer une courbe de difficulté correcte d'une quête à l'autre).


Chez CD Projekt, puisqu'on aime se la péter, on n'a donc pas fait 1 monde ouvert mais 3. Ben oui, pourquoi se limiter ? Donnons aux joueurs ce qu'ils veulent, montrons qu'on est meilleurs que les autres, continuons d'asseoir notre suprématie de studio gamer-friendly bourré de talent. On n'a jamais pu reprocher à CDP d'avoir de l'ambition à revendre, et ce n'est sûrement pas avec ce troisième épisode que ça va changer. Pas bêtes, les développeurs ont opéré, sur le papier, tous les choix de design à la base d'un bon RPG open-world. Pas de level scaling, une totale liberté d'exploration, des quêtes activables même si on n'a pas du tout le niveau... il n'y a pas à dire, les bases sont là pour une expérience de jeu de rôles vraiment libre et hardcore. Le problème c'est qu'encore une fois, les développeurs sont victimes de leur propre crânerie, voire, oserais-je le dire, de ce léger mépris qu'ils ont toujours eu à construire un système réellement solide derrière de séduisants atours graphiques et une communication soignée. Encore une fois, le système de The Witcher 3 a été construit non pour être béton, mais pour avoir l'air béton. Où qu'on se balade, quoi qu'on fasse, c'est cette sensation qui prévaut d'un dialogue de sourds entre le joueur et le jeu, ce dernier pérorant « Regarde comme je suis beau et bien », sans jamais laisser à son interlocuteur la possibilité de lui répondre. C'est l'ensemble du monde qui a été construit sur des préceptes de design cohérents, mais c'est ce même ensemble qui apparaît finalement comme autiste, incapable de dialoguer avec le joueur, ou plutôt capable mais pas du tout désireux de s'en donner les moyens, comme si être beau lui suffisait amplement et que le reste n'avait pas d'importance.


Le premier échec du jeu est encore une fois son système. L'intérêt de ce qu'il y a à faire est inversement proportionnel à la quantité de ce qu'il y a à faire. Là où d'autres monstres AAA du open-world compensent leur répétitivité par une subtile évolution du gameplay, une mise en scène dynamique ou encore un scénario fort, The Witcher 3, lui, se contente d'ânonner les mêmes séquences dans une boucle sans fin où rien n'est amené à évoluer. Au sein même de ce système, ça coince déjà au niveau de l'histoire et des choix de narration. Je ne comprends pas du tout comment on peut porter le jeu aux nues pour cette partie. Comment exprimer clairement ce qui me taraude ? Geralt n'est qu'un pauvre larbin. Un coursier à la petite semaine qui cache, derrière son timbre de voix profond et son regard pénétrant, un véritable cœur d'artichaut doublé d'une cervelle de moineau. C'est la première fois que cette caractéristique, pourtant fréquente dans le genre, m'énerve autant, et ceci pour une raison simple : Geralt est, par nature, l'opposé d'un abruti. Alors que rarement héros de RPG a-t-il été aussi con, et je pèse mes mots. Le scénario insiste constamment sur l'urgence qu'il y a à progresser dans la quête principale, car il faut ici sauver Ciri qui semble en mauvaise posture et pourrait mourir d'un instant à l'autre. Pourtant, cela n'empêche pas Geralt de passer l'essentiel de son temps à se faire mener à la baguette par des PNJ qu'il pourrait envoyer bouler d'une pichenette et, bien pire, pour des raisons la plupart du temps COMPLÈTEMENT opaques, malgré l'infinie longueur des dialogues. Je veux dire : il y a quand même un moment, dans la quête principale, où notre bande de simples d'esprit se met en tête d'écrire, de caster et de mettre en scène une pièce de théâtre, pour une raison totalement incompréhensible. D'une part cette séquence ne trouve aucune justification au point que j'en étais mal à l'aise devant cette tentative de "faire cool", d'autre part ça n'avait vraiment rien à faire là, ça diluait encore le rythme, ça ajoutait d'inutiles circonvolutions à un ensemble déjà bien trop bordélique... j'ai eu l'impression d'être dans un film de Quentin Dupieux : je me répétais dans ma tête "aucune raison, aucune raison, aucune raison." Mon état d'esprit général, en fait. Le jeu est extrêmement bavard mais c'est du blabla inutile, barbant, qui n'est là que pour justifier (péniblement) le fait que Geralt soit obligé d'obéir aux ordres.


Bien sûr, c'est l'apanage de la plupart des jeux du genre, mais ici cette façon de trouver un prétexte à l'action est poussée à son paroxysme, avec une écriture vraiment fainéante et de surcroît absolument pas raccord avec le charisme très singulier de Geralt. Dans un jeu avec un personnage sans nom, fait entièrement soi-même (Elder Scrolls, Gothic...), cela aurait pu à la rigueur passer plus facilement, mais ici les quêtes ne se contentent pas d'être agaçantes : elles sont une contradiction même du personnage qu'on incarne. La quête principale en particulier est une abominable purge où l'on est valdingué d'un personnage secondaire à l'autre pour des motifs totalement fallacieux. En quarante heures de jeu j'ai du comprendre le pourquoi d'une quête au maximum une fois sur dix, soit la proportion de fois où Geralt fait preuve de bon sens ou d'autorité pour atteindre son objectif, la proportion de fois où on se dit qu'on y croit, qu'on aurait agi de même en pareille circonstance. Comment voulez-vous qu'on ait le sentiment d'incarner un rôle si celui-ci est écrit de manière illogique ? C'est un peu comme si la feuille de personnage disait : « Vous êtes un puissant sorceleur expert en monstres, qui seul détient le pouvoir de sauver la plupart des habitants de ce monde d'une mort certaine et peut influencer les pensées des gens. Vous adorez servir le café et faire les photocopies. » Le truc qui rend vraiment fou : ce lore fouillé (sur le papier) qui transparaît de telle manière que Geralt ressemble à un bon gros couillon dès qu'il l'ouvre, particulièrement à l'occasion des nombreuses séquences d'enquête qui mènent 90% du temps à une découverte totalement flag.


"Sorceleur, nous avons été agressés par une créature mystérieuse. "
"Hmm, laissez-moi voir. Des traces de loup garou... Oui, c'est sûrement un loup garou qui a fait le coup."
(Geralt court cinq minutes avec ses sens de sorceleur en suivant des traces de sang)
"Ah tiens, ouais, un loup-garou."
(Insérer des applaudissements)


The Witcher 3 se veut un jeu à parcourir librement, mais en réalité, on a le droit de faire quelque chose seulement quand ça arrange les développeurs. C'est l'idée la plus bête et à mes yeux une erreur de design impardonnable qui casse à vue de nez 90% de l'intérêt de la progression. L'infinité de quêtes secondaires offre certes un panel d'expériences variées, mais cet éventail va du bon au mauvais en passant le plus souvent par le passable, répliquant toujours la même structure dialogue/recherche/combat/résolution où chaque étape est prévisible dans son contenu et sa présentation. Comme dans la plupart des jeux du genre, Geralt passe l'essentiel du temps à écouter les PNJ donneurs de quêtes et, de temps en temps, permet au joueur qui le contrôle de baragouiner des protestations avant que son interlocuteur ne lui ferme son clapet d'une remarque cinglante. Tant et si bien qu'on abandonne rapidement l'idée d'avoir réellement son mot à dire. Le problème, c'est que ce qui est pardonnable dans un RPG lambda plus axé sur le gameplay l'est moins dans un jeu qui se voudrait "story-driven", de sucroît partant d'un personnage à la personnalité préexistante. Certes, Geralt est là pour accomplir des contrats, mais il est aussi fort, puissant et il sauve le monde : pour des raisons de facilité d'écriture, les développeurs ont choisi de retenir surtout la première caractéristique, ce qui fait que le rythme de la progression est haché et mécanique, n'importe quel événement se justifiant par "c'est comme ça" ou "obéissez", dans des quêtes à tiroirs qui n'en finissent pas d'imposer des contraintes arbitraires auxquelles on s'adapte sans plaisir. Pour les quêtes "contrats", au demeurant bien faites, il est parfaitement acceptable que Geralt obéisse en silence (c'est sûrement pour ça que ce sont les meilleures quêtes du jeu). En revanche, que tout l'arbre de quêtes, secondaires comme principales, ait été bâti selon ce précepte de "gentil chien-chien qui fait les gros yeux pour la forme", est nettement moins défendable, surtout quand on voit dans quelles incompréhensibles circonvolutions se déploie la quête principale en particulier. Les développeurs tirent à tort et à travers la corde de la "suspension of disbelief" en expliquant tel ou tel rebondissement avec une lourdeur extrême, le résultat final étant invariablement que Geralt doit se démerder seul pendant que ses amis/commanditaires/etc (rayez la mention inutile) se curent les dents dans une quelconque taverne, mêmes aux moments les plus délicats. A la longue, c'est carrément énervant. Et ça permet d'autant mieux de repérer les terribles paresses d'écriture, qui, sous prétexte de respecter l'univers désespéré des livres (un bon point, pourtant), ne font qu'empiler les enjeux les plus sombres jusqu'à l'exagération, sans forcément prendre la peine de les introduire avec subtilité, mettant le joueur face à des dilemmes si nombreux, et si peu conséquents, qu'ils finissent par provoquer une grande lassitude. Sur le papier, beaucoup de quêtes sont donc intéressantes, mais c'est leur mise en œuvre qui échoue à concerner le joueur, soit parce qu'elles ne servent finalement qu'à farmer de l'or, soit parce que leur dénouement, tragique ou pas, n'aura strictement aucun impact sur la façon de jouer et sur l'évolution du monde.


Côté mise en scène, les cadrages ont beau être propres et les personnages extrêmement beaux, The Witcher 3 marque un pas en arrière par rapport à son prédécesseur. Pour le meilleur, pourrait-on dire : adieu les cinématiques bouffies et interminables, bienvenue le gameplay et l'action. Sauf que non. La plupart des phases "scénarisées" ne sont que des dialogues en plans fixes récités avec de longues pauses entre chaque réplique, qui installent une atmosphère de lenteur extrême, ternissant même les nombreux instants d'urgence qui émaillent l'histoire. L'un des trucs les plus assommants, notamment, c'est cette absence totale de gestion de l'atmosphère, le jeu mettant tout au même niveau, des combats contre des loups, une cinématique mettant en scène une chambre froide bourrée de cadavres de femme ou un dialogue avec le forgeron du coin. C'est l'ensemble de la mise en scène qui est terne, se contentant encore et encore d'éternels champs-contrechamps pendant les innombrables dialogues qui doivent occuper la moitié du temps de jeu. On sent que CD Projekt n'a pas trop eu le temps de produire des cinématiques aussi léchées que celles du 2 (contenu gargantuesque oblige) et cela se ressent sur l'ambiance : autant il y avait trop de cinématiques avant, autant maintenant il y en a toujours trop et elles sont trop molles, avec des dialogues verbeux entrecoupés d'interminables silences, et accompagnés par des cadrages qui ne varieront jamais et qui finissent rapidement par rendre pénibles les dialogues, déjà pas aidés par une écriture lourde. Comme dans The Witcher 2, la plupart des quêtes sont plombées par une sorte de mise en scène cinématographique procédurale qui interrompt l'action aux moments les plus indésirables pour placer des dialogues sans intérêt (mais, alors, vraiment sans intérêt : les trois quarts du temps, leur absence n'aurait rien changé à la progression), qu'on peut certes zapper, mais qui ont une vraie tendance à l'intrusion fatigante sur le long terme. Après une dizaine d'heures de jeu, la moindre cinématique devient presque une souffrance à cause de son manque de souffle, de sa lenteur, surtout quand on sait à l'avance de quoi il retourne et qu'on attend patiemment que le jeu nous rende les commandes. Même la mauvaise gestion de la bande-son rend certaines séquences fortes complètement bateau : il ne semble y avoir aucune adaptation de la musique aux actions du joueur, ce qui fait qu'une promenade champêtre ou un dialogue avec le roi peuvent se jouer sur la même partition.


Enfin le monde est immense, le contenu gargantuesque, les PNJ plus nombreux que dans quasiment tous les autres jeux du genre, mais tout ça pour quoi ? L'exploration est théoriquement libre, mais en pratique limitée par des zones vides, où les développeurs n'ont pas envie qu'on aille. Une fois n'est pas coutume, les développeurs ont eu les yeux plus gros que le ventre. Mais, une fois n'est pas coutume non plus, ce n'est pas grave, car ça rend bien à l'écran – là encore tout est question d'apparences, de style, il s'agit d'épater la galerie. De la myriade de points d'interrogation disséminés sur la carte, seule une poignée présente un réel intérêt, car l'immense majorité du loot ne sert qu'à garnir sa besace d'éléments d'artisanat (schémas, matières premières) qu'on n'utilisera jamais (à l'image de Dragon Age : Inquisition), puisque les items pré-fabriqués sont amplement suffisants et se renouvellent assez régulièrement au cours de la partie (notamment de la quête principale) pour qu'on n'ait aucun besoin d'aller fouiner ailleurs. La grande majorité du contenu secondaire est donc constituée d'éléments à libérer/vider/repeupler, grosso modo en tuant des monstres qui n'apportent pas vraiment d'expérience, pour des avantages « visuels » qui n'ont en vérité aucun impact sur la progression – tuer des monstres, libérer des villages, détruire des nids... apporte la satisfaction de faire grimper des compteurs ou de voir revenir la vie sans aucun avantage concret. Ou plutôt, apporte des avantages localisés, qu'il est inutile d'exploiter puisqu'on a la possibilité de tirer les mêmes profits en s'adressant à un PNJ situé autre part dans le monde.


Puis c'est l'escalade : The Witcher 3 ment. Il fait croire à de la profondeur alors que tout reste en surface. Comble de l'arrogance, il reprend presque à l'identique les recettes populaires des gros AAA bac-à-sable du moment sans même tenter de les maquiller. Points d'intérêt qui font grimper de vulgaires jauges, secrets qu'on ne trouve que pour changer la forme de l'icône sur la carte, démultiplication des contenus identiques d'un point à l'autre pour le simple plaisir de pouvoir montrer qu'ils existent, qu'il y a des choses à faire... pour faire tenir son monde ouvert, le jeu ne trouve rien de mieux que de littéralement imiter la concurrence, alors même que celle-ci ne joue pas dans la même cour. Un RPG qui fait comme les jeux d'action-aventure, avec des petits morceaux de Just Cause 2 , de Batman Arkham et d'Assassin's Creed : vous voyez le problème ? Il n'y a pas grand chose de rôliste là-dedans, et les mécaniques du titre en tant que jeu d'action-aventure ne délivrent pas assez de sensations pour qu'on y trouve le plaisir qu'on prendrait sur un des jeux sus-cités. Éternel retard de la série, le système de combat, bien que véritablement amélioré depuis The Witcher 2, ne tient toujours pas assez la route et se montre extrêmement répétitif et plat, la faute à des mouvements qui se ressemblent trop, à une certaine imprécision dans les déplacements, à des ennemis qui manquent de folie et surtout à des patterns de combat généralement trop répétitives malgré la présence des fameux signes.


La montée en puissance de Geralt est là encore un échec, moins visible que dans le deuxième opus, mais tout de même évident. Il y a énormément de bonnes idées sur la feuille de personnage, qui est plus intéressante que les précédents Witcher et même véritablement originale par rapport à la concurrence. On décèle un gros potentiel avec ce système de mutagènes à associer à des compétences pour démultiplier leur efficacité. Sauf qu'il suffit de se balader pour trouver tous les items ou points d'expérience nécessaires à faire de Geralt une véritable machine de guerre. Les compétences se déverrouillent à la vitesse de l'éclair et bien que le jeu permette de monter jusqu'aux niveaux 30 et plus, un joueur orienté vers un style de jeu précis, c'est-à-dire à peu près n'importe qui, aura « maxé » son personnage avant mi-parcours (par exemple, monter les compétences de corps-à-corps à fond est possible autour du niveau 12). Du coup, le reste du temps, on se retrouve à faire mumuse en montant des compétences dont on n'aura jamais l'utilité mais qu'on est bien obligé d'upgrader faute de mieux, et dès lors c'est toute la progression passée ce cap qui devient fastidieuse et inutile – très tôt, le seul avantage de la montée de niveau est l'augmentation des statistiques de base qui n'influent que peu sur le déroulé concret de la partie, et qui finit en plus par fausser jusqu'à l'estimation du niveau nécessaire que les développeurs ont eu la gentillesse de préciser pour chaque quête dans le journal. Du coup, même dans les modes de difficulté supérieurs, le jeu devient d'une simplicité déconcertante passé un cap rapide, et les rares pics de difficulté pourront êtres aisément résolus en "farmant" les quêtes secondaires, elles aussi très faciles. L'immense majorité du jeu n'est ainsi constituée que de "choses" à faire sans aucun challenge derrière. Le B.A.-BA d'un RPG étant de savoir doser l'évolution d'un personnage sur la durée, je reste avec un goût amer en bouche étant donné qu'en plus de m'ennuyer profondément, je n'ai pas du tout eu l'impression d'avoir un impact sur la montée en puissance de Geralt après avoir franchi le tiers du jeu... bien que la montée existe réellement passée ce cap, elle devient beaucoup plus difficile à saisir car basée sur des statistiques qui ne sont pas vraiment explicitées et dont on se fiche à vrai dire pas mal. Parce qu'enfin, si je veux avoir tel ou tel type de personnage (sorcier, voleur, combattant – ce qui est possible sur le papier), pourquoi devrais-je accepter d'arrêter de pouvoir me le construire aussi tôt ? Aucune raison. A terme, toutes les configurations finissent par se ressembler et il n'est pas possible de construire durablement un Geralt personnalisé, qui ressemblera avant mi-parcours à une bête de guerre que même le mode de difficulté extrême ne saurait ralentir.


Tant qu'à tirer sur l'ambulance des défauts mentionnés nulle part, continuons allègrement : le jeu ploie sous les choix fakés qui n'ont absolument aucune conséquence, que ce soit à court ou long terme. A quelques exceptions qui ne servent qu'à émouvoir le joueur ou à essayer de lui prouver que ses choix sont importants alors qu'au fond rien ne change (la quête du Baron sanglant, notamment), il n'y a pas trente-six solutions possibles. Ce qui est normal. Seulement, qu'on arrête de nous vendre ces choix en permanence s'ils n'existent pas. Le plus horripilant est de très loin la présence, à quasiment chaque dialogue, de plusieurs options de réponse qui conduisent peu ou prou à la même issue. Là, c'est gros comme une maison que les développeurs essaient de se la péter façon « Mass Effect X Telltale » en foutant à tort et à travers des choix qui ne servent absolument à rien et le crient quasiment d'emblée. Ces lignes de dialogues sélectionnables ont en plus le culot de ne faire aucun mystère de leur vacuité : on est quasiment toujours prévenu que l'issue finale du dialogue sera la même quoi qu'il arrive. Mais le pire n'est même pas là. Très fréquemment, il est tout simplement impossible de choisir la phrase qu'on aimerait réellement dire, celle qui tombe sous le sens mais qui pourtant n'est jamais là. Par exemple, il existe un système de persuasion upgradable sur trois niveaux qui est censé permettre au joueur d' « hypnotiser » son interlocuteur pour le rallier à sa cause. Dans les faits, cette option de dialogue apparaît complètement aléatoirement, généralement lors de quêtes secondaires sans importance où elle permet d'éviter un combat. Celle-ci sera pourtant inaccessible la plupart du temps, tout simplement parce que les développeurs n'ont pas eu envie. C'est triste à dire mais c'est bien de cela qu'il s'agit : les développeurs n'ont pas eu envie. Pourquoi ? Aucune raison. On est d'accord sur le fait que déverrouiller cette compétence est quand même assez facile, mais tout de même, ne permettre d'y recourir qu'aussi rarement tient plus d'un caprice (frustrant) de développeur que d'une véritable feature designée proprement. Et tant qu'à faire ce que les développeurs veulent (ou ne pas faire ce qu'ils ne veulent pas), allons-y pour la purge : même en étant fan de ces petites options de dialogue sympathiques qui sont généralement censées augmenter l'immersion, au bout de huit heures de jeu j'étais littéralement gonflé à chaque texte jaune qui me disait : « Regarde, tu as le choix entre une option inutile et une autre option inutile, laquelle préfères-tu ? Tu as sûrement grillé que c'était du vent mais c'est pas grave, on va t'en faire bouffer jusqu'au générique de fin pour te maintenir éveillé pendant les dialogues ». Sérieusement, STOP.


De mal en pis, on finit par se persuader que The Witcher 3 est un jeu-somme. Façon Dragon Age : Inquisition, c'est un gros mélange, une soupe bien grasse et roborative de tout ce qui fait qu'un jeu se vend bien. C'est clinquant, c'est propret. Mini-jeux, features de partout, cheval automatique, couchers de soleil rouge fluo et filles à gros boobs : l'attirail parfait du bon petit AAA réussi est là. Quelle superficialité, quelle absence de génie... si encore le jeu savait garder une certaine humilité, admettait ses torts et n'essayait pas à tout prix de faire tout à la perfection. Là, on aurait pu s'entendre, un peu comme on aime bien un Risen ou un Divinity. Mais ici... quelle vantardise, de la brillantine partout, des effets tape-à-l’œil aux quatre coins de l'écran, un aspect physique léché comme pas deux qui cache une sidérante vacuité intérieure. Oui le jeu est beau (même si nom de dieu, pourquoi autant de vent ?), oui le character design est excellent, oui c'est vrai que dans sa direction artistique et son feeling général The Witcher 3 sait cultiver ce petit quelque chose qui le rend incomparable à la concurrence et qui lui garantira certainement une assise croissante dans le genre. Mais tout cela en vaut-il vraiment la peine ? Les épisodes se succèdent, et je me dis toujours plus que leur but n'est jamais d'être bon mais de le paraître. Je suis fatigué des jeux verbeux qui se donnent de grands airs, de cette littérature vidéludique autoproclamée qui ne fait que semblant. J'en ai marre que Geralt soit une lopette, qu'il se prostitue sur l'autel des recettes qui marchent, marre qu'on me promette un RPG et qu'on me refile un jeu d'action-aventure qui mélange tout et n'importe quoi. On ne peut pas écrire une bonne histoire de jeu vidéo sans s'interroger sur son impact sur le système. On ne peut pas additionner bêtement des features en espérant que ça fasse une somme cohérente et compacte. On ne peut pas étaler du texte, des beaux graphismes, de jolies musiques... en espérant que le tout soit nécessairement égal à la somme de ses parties. C'est énervant car CD Projekt a depuis toujours eu les moyens de réaliser de vrais bons jeux. Tant que pour eux, la crânerie passera avant la sincérité, ils ne trouveront pas grâce à mes yeux. The Witcher 3 est profondément répétitif, verbeux, plat, calculé pour plaire. Ce n'est pas un 94% sur Metacritic qui va me persuader que j'ai tort : j'en ai juste marre de jouer à des jeux qui ne sont pas honnêtes.

boulingrin87
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le 14 sept. 2015

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Seb C.

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