Poison Girl
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le 8 juin 2016
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La plastique, c’est hypnotique.
La bande annonce, le clip, la publicité : autant de formes audiovisuelles à la densité plastique extrême qu’on louera pour leur forme en méprisant le plus souvent leurs velléités commerciales. Outils de promotion inféodés aux faiblesses de la masse pour le clinquant, ils sont ce que le cupcake est à la pâtisserie : une gourmandise souvent bien plus belle que savoureuse.
Refn sait faire tout cela, et probablement mieux qu’un grand nombre de ses pairs ; The Neon Demon est l’occasion pour lui de questionner les enjeux d’une telle séduction, et d’y instiller le pendant horrifique qui a toujours infecté son œuvre : la beauté et la mort, la peau et les organes, le charme et l’effroi, la saveur et le dégoût.
Conte initiatique, son récit navigue entre deux eaux troubles : celle, académique, du parcours initiatique d’une jeune mineure venue faire ses armes dans la cité des anges, et n’ayant que sa beauté à vendre ; l’autre, formaliste, lui ouvrant les arcanes d’un monde vampirique et cruel où l’on dévore et customise la femme pour la figer sur papier glacé.
Cette phase immersive est probablement la plus réussie du film : parce que le spectateur est amené à s’identifier à la protagoniste, il épouse avec elle ses errances visuelles de papillon de nuit : un premier shooting sanglant qu’on croirait déjà décadent mais qui n’est qu’un rite d’initiation, une boite de nuit stroboscopique occasionnant un fabuleux jeu de regards interloqués, et une séance photo où la démesure des espaces, de la tension et de la prédation résonnent comme une défloraison cathartique.
Refn sait faire : du placement de ses mannequins aux mouvements de caméra, lents travellings avant ou arrière semblant se prosterner face à l’autel de la beauté froide, il compose un écrin magnétique que Cliff Martinez sait comme toujours recouvrir de son glacis synthétique. Les intérieurs se multiplient, la musique artificielle a pris le dessus et nous invite à une post-humanité qui n’est pas sans évoquer certaines ambiances (notamment par quelques titres de la BO) de Blade Runner. Les regards des décideurs sont avides, le bruit des flashes évoque celui d’une arme blanche : bien entendu, les maîtres ne sont pas loin, dans cette captation de la femme au service d’une industrie déviante du divertissement, que ce soit dans le Lynch de Mulholland Drive & Lost Highway ou le Kubrick d’ Eyes Wide Shut.
On en oublierait la notion de récit. Car tout transite autour de l’astre Jesse dont la beauté suscite d’autant plus d’extase qu’elle est naturelle : on vénère sa jeunesse, sa virginité, son innocence au point de s’affranchir de toute mesure.
♫ Belle, c’est un mot qu’on dirait éventé par Elle ♫
Le film ne parle que de ça. Et face à cette insolence, cette injustice aussi, la raison et la civilisation se pulvérisent. Le cinéaste se joint à la cohorte des shootés qui ploient face à la quintessence d’une notion après laquelle ils courent, qui plus est en concurrence avec l’Ennemi, le temps dévorateur.
Refn lui-même s’agenouille devant ce modèle et s’inflige la déraison subie par ses satellites : les fantasmes divers et de plus en plus déviants commencent à sourdre pour ceux qui ne peuvent que contempler l’intouchable, la nimber de couleur, la capturer à l’image sans jamais l’atteindre, sans pouvoir s’approprier ne serait-ce qu’une poussière d’étoile de sa fulgurante présence.
L’usufruit de vos entrailles est béni.
Deux mondes s’affrontent : celui, intime, de la femme fleur qui s’épanouit à la prise de conscience de sa beauté, jusqu’à en quitter le monde des vivants, lors d’un trip visuel où les triangles cabalistiques laissent libre cours à des séquences chères à Refn, notamment dans cette image récurrente de mains sur une toile épaisse déjà évoquée dans Inside Job. Celui, public, des prédateurs (du puma au tenancier du motel, du premier photographe à la maquilleuse, jusqu’aux concurrentes bioniques) un monde dans lequel les hommes sont certes violents, mais moins redoutables que les femmes, qui seules sont initiées aux pratiques occultes de la Beauté.
(spoils)
C’est donc dans l’eucharistie que doit se conclure le culte. Atteindre la chair en la faisant sienne, et boucler la boucle du sang initiée dans un fake plastique qu’on voudrait voir gicler pour de bon, écho de ce dépucelage fantasmé qui n’adviendra jamais pour que la sacralité puisse être totale.
Gratter la surface jusqu’à l’user, atteindre les entrailles, faire de la métaphore dévoratrice un premier degré tout aussi plastique : cette provocation ultime a son sens, et la séquence finale (davantage que le viol nécrophile, plus dispensable) s’inscrit dans une catharsis longuement annoncée.
Aller jusqu’au bout : c’était déjà la quête de Valhalla Rising, c’était dans le radicalisme noir d’Only God Forgives, ou la geste folle de Bronson.
La dynamique se tient, à une exception près : la parole. Dans ce temple dévoué à l’apparence qui rend fou, il n’était pas utile de tant sur-expliciter certains enjeux : quitte à faire de l’image pure la quête absolue, autant être vraiment à sa hauteur en abandonnant le discours verbal : au vu de la virtuosité visuelle de Refn, c’était possible ; là, l’audace eut été totale.
(7.5/10)
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le 13 juin 2016
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