The Room
3.5
The Room

Film de Tommy Wiseau (2003)

Court-métrage de débutant : le film.

Je me suis enfin décidé à voir The Room en entier. En effet, ayant vu la critique du Nostalgia Critic (3 fois au moins) du Fossoyeur de Film et de plusieurs autres YouTubers sur ce film, je pensais le connaire. Et puis, par esprit de "quitte à fêter la St Valentin, autant le faire ironiquement" moi et ma copine on a maté le chef d'oeuvre ce soir là, même si je me disais que j'allais pas apprendre grand chose vu que je connaissais le film dans ses grandes lignes...


... et ...


... contre toute attente...


.... j'ai pas appris grand chose vu que je connaissais le film dans ses grandes lignes. (Sincèrement, la critique du N.C. est un véritable reader's digest du truc.) Pourtant, à ma grande surprise, je ne me suis JAMAIS ennuyé.


En tant que grand amateur du site Nanarland, je sais que la frontière entre nanar et navet peut-être très fine et que les meilleurs nanars sont souvent des films d'actions tellement mal foutus (ou rempli d'idées WTF) qu'ils en deviennent risibles avec moult effets spéciaux fauchés et problèmes de faux raccord. (Turkish Star Wars restant au top de ce qui se fait de mieux.)


Ici, on est dans un drame parlant d'une relation entre un homme et une femme qui se barre en couille mais ce qui est intéressant c'est que malgré un sujet de départ pas trop kiffant, dans sa production le film n'est pas "mal filmé" : la lumière est correcte, on a des plans d'intérieur, d'extérieur avec plusieurs angles, un fond vert relativement potable (à l'exception de deux ou trois plans, j'ai vu BEAUCOUP plus moche.) Avec un autre scénario et un acteur principal potable The Room aurait pu faire un téléfilm pas trop honteux de l'après-midi sur M6.


Tout le ratage de The Room est basé à 80% sur des scènes incompréhensibles et un acteur principal au jeu tellement extra-terrestre qu'il en devient magique. Et même si je connaissais et attendais la plupart des scènes culte (La boutique de fleur, "ho I Marc" "You Tearing me apart Lisa" etc...) je me suis surpris à me marrer devant des scènes d'apparence sans intérêts, comme les nombreuses discussions de Lisa avec sa mère, Marc ou sa copine. Non seulement celles-ci n'ont aucune logique avec la continuité de l'histoire mais elles n'ont aucune logique internes non plus, les personnages changeant d'avis comme de chemise ou passant du coq à l'âne.


Mais le pire, c'est que contrairement à des gens qui voient dans The Room une oeuvre "unique" personnellement ça m'a rappelé plein de films similaires. Que vous n'avez jamais vu (et c'est normal.)



Tommy Wiseau, ton pote avec une caméra :



Ce qui est marrant, c'est qu'ayant vu de nombreux cours-métrages amateurs ratés et ayant même participé au tournage de films imbuvables de débutants, je suis en terrain connu. The Room cumule tout les défauts de la production débutante :


Un réalisateur qui s'inspire de sa vie ? Check.


Je crois que les pires court-métrages que j'ai vu de ma vie partaient de l'intention de régler ses comptes avec quelqu'un IRL : ça va du film d'angoisse dans lequel on torture un mec qui ressemble trait pour trait au mec qui martyrisait le réalisateur quand il était gosse, au film de vanité dans lequel l'auteur fait enfin face à son père ou de l'engueulade de couple plate et mal filmée qui ressemble trait pour trait à celle que la réalisatrice a vécu avec son mec deux jours avant le tournage. (Les anecdotes que je vous raconte sont réelles.) Et souvent, c'est très mal foutu car le public sent directement qu'on ne s'adresse pas à lui : on s'adresse à un mec, qui, bien souvent, n'est pas venu parce qu'il est en froid avec la personne qui a réalisé le film.


On est totalement là dedans, puisque selon certains témoignages, le film s'adapterait d'une histoire que Tommy Wiseau aurait vécu avec son ex. Et on est pas étonné. On ne s'y serait pas pris autrement si on voulait faire la caricature du mec qui fait un film sur sa méchante ex en lui attribuant tous les défauts de la terre (sauf la beauté, faut bien qu'il ai été attirée par elle au départ) et à lui tout le mérite. Avec une option "puisque vous êtes tous méchants avec moi, je vais me suicider et vous serez tous trèèès triste" de bon aloi et une dimension "je me suis inspiré de Citizen Kane, t'as vu" dans le côté "je suis riche et je te donne tout ce que tu veux avoir, pourquoi ne m'aime-tu pas ?"


Une histoire mal écrite et mal racontée parce que l'auteur ne sait pas gérer un scénario ? Check.


The Room pourrait très bien être un court métrage. Celui-ci à un début (Johnny et Lisa sont un couple) une péripétie (Lisa trompe Johnny) et une chute (Johnny le découvre et se suicide.)
Au final, tout ce qu'il y a au milieu est juste du remplissage, soit en amorçant des histoires annexes (la promotion, Dany qui se fait bolosser, le mariage) soit en répétant plusieurs fois les mêmes scènes (Lisa se plaint de Johnny, Lisa trompe Johnny, Lisa discute avec sa mère, etc...) et en maintenant le status-quo au maximum jusqu'au climax, ce qui explique pourquoi Lisa ne se barre jamais ou pourquoi Johnny ne la vire pas de chez lui. Ce qui amène au prochain point.


Un manque de cohérence interne ? Check.


Une erreur des réalisateurs/scénaristes débutants c'est de penser que si eux ont compris, alors le public va comprendre et à l'inverse de sous-estimer leur compréhension de l'intrigue. Ainsi, l'anecdote de la relation entre Johnny et Lisa se veut être une histoire charmante dans la tête de Wiseau est en réalité complètement "osef" pour les spectateurs. Ce qui explique aussi pourquoi certaines scènes sans intérêts sont appuyés plusieurs fois ou que d'autres semblent manquer : qui informe Johnny que Lisa l'accuse de l'avoir frappé ? Quand lui a t-elle dit qu'elle était enceinte ? Je pense aussi que le script ayant été réécrit plusieurs fois pour coller au départ des acteurs et écrit à la dernière minute, Wiseau s'est emmélé les pinceaux (ainsi les personnages passent de "5 ans de relation" à 7 .)


Ainsi, une critique récurrente c'est qu'on a l'impression que les personnes sortent des objets de nulle part (bouteille de vodka, magnetophone à cassette, etc...) mais ne serait-ce pas parce que, méconnaissant toute forme de grammaire du cinéma, Wiseau n'a simplement jamais filmé les plans de coupe où ces objets sont censés être pris par le personnage ?


Des acteurs qui n'en ont rien à foutre de ce qu'ils font ? Check.


Dans le film, les acteurs qui se contentent d'aligner le minimum syndical et on a vraiment l'impression par moment qu'ils se demandent ce qu'ils foutent là. Mention spéciale à la mère dont les phrases semblent refléter par moment l'esprit du spectateur en train de se demander ce que signifie ce film.


Et l'anecdote m'est déjà arrivé : me retrouver en train de tourner un court-métrage, voir que le réalisateur était vraiment obscur sur ce qu'il voulait tourner et puis finir par hausser les épaules en me disant "s'il veut que je joue ça, je vais le jouer, c'est pas mon problème." C'était le cas de Greg Sistero qui disait qu'il en faisait le minimum, convaincu que de toute façon, le film ne verrait pas le jour. A noter qu'un certains nombre d'entre eux ont réussi à changer le dialogue par moment, celui-ci étant encore plus incompréhensible à la base.


Le réalisateur ne sait pas gérer une équipe et un planning ? Check.


Les anecdotes sont nombreuses. L'équipe technique a changé 4 fois et de nombreux acteurs se sont barrés en cours de route ce qui explique sans doute pourquoi le film à pris presque 7 mois : il fallait à chaque fois retourner des scènes avec la nouvelle équipe. D'autant plus que les acteurs étaient appelés pour bosser sur des scènes où ils n'étaient pas censés jouer, "des fois qu'on aurait besoin de ton personnage." Le meilleur truc au monde pour fatiguer les gens et leur donner envie de se barrer le plus vite possible du projet. (Sans parler du fait que les tournages américains n'ont pas d'horaires fixes : vous êtes obligés de rester aussi longtemps que le réalisateur le voudra.) J'ai déjà vu des engueulades déchirantes d'équipes techniques restées 2 mois sur un projet qui les passionnait pas plus que ça, alors j'ose même pas imaginer ce que ça donne sur trois fois plus de temps.


Paradoxalement, cela explique aussi pourquoi du point de vue de l'image la globalité du film est techniquement potable : les éclairagistes, machinistes et caméramen ont fait leur job sans se poser de questions, reprenant parfois le travail d'une autre équipe qui s'était barré depuis. Le truc ressemble à un téléfilm parce que c'est la valeur "neutre" du cinéma : du taf bien fait mais sans personnalité.


Idem pour la musique qui se contente de faire ce qu'on lui demande : de la musique plan-plan pour les scènes de nuit, de la musique de lover pour les scènes de cul, etc. Celle-ci aurait été pioché dans un cd intitulé "bande son générique pour n'importe quel film" que ça ne m'aurait pas étonné.


Le réalisateur veut tout garder ? Check.


C'est une erreur que je trouve parfois encore chez des gens qui n'en sont pas à leur premier court-métrage : ils sont tellement content ou on travaillés tellement dur sur les plans qu'ils ont tournés qu'ils veulent les mettre tout. Or, parfois, le travail de montage demande à virer une scène (même excellente) pour gagner en cohérence.


Ici, Wiseau à tout mis. Ça expliquerait les prises de vues de San Francisco (qui servent aussi de cache misère et de moyen de faire des ellipses) les scènes bien trop longue de monté d'escalier et on raconte que le montage original de la première scène de sexe durait 6 minutes parce que Wiseau trouvait ça cool. Il n'y a que deux scènes qui ont été coupées et ce sont des scènes alternatives (Denny se fait menacer dans l'allée au lieu du toit, Johnny se suicide dans son salon et non pas dans sa chambre.)


J'en suis même venu à me demander si toutes les scènes où Lisa trompe Johnny ne sont pas plusieurs versions de la même scène : Marc arrive, il est étonné, Lisa le pousse à coucher avec lui. Chacune pourrait être de nouvelles versions de travail du même passage, mais sous un autre angle et avec de nouveaux dialogues. Ceci dit, je sous-estime peut-être la répétitivité que peut produire un mauvais script. Entre le moment où Lisa trompe Johnny et l'anniversaire de Johnny, de nombreuses scènes peuvent être complètement interchangées dans le montage sans que ça ne change quoi que ce soit à l'histoire. (Vous pouvez le faire chez vous si vous vous ennuyez.)


Et je regrette qu'ils n'aient pas eu le temps de faire la scène où l'on apprenait que Johnny est en fait un vampire et où on le voyait piloter une voiture volante. (Wiseau voulait VRAIMENT tourner ça.) Je crois qu'on aurait atteint un nouveau stade de l'illumination.


Le monteur n'a aucune passion pour ce qu'il fait ? Check.
Je ne sais pas si le montage a été fait par un monteur externe qui a tenté de rendre une copie "potable" avec un tas de matos incohérent ou par un type qui a tenté de saborder le projet. En effet, une rumeur explique qu'un monteur, énervé par Wiseau, aurait fait exprès de ne prendre que les "pires" prises. Et sincèrement j'y crois pas trop. Sélectionner les pires prises demande presque autant de temps au montage que d'en sélectionner les meilleures (et à ce qu'on sait du tournage, elles ne se différenciaient guéres les unes des autres.)


Par contre la logique voudrait qu'un monteur qui veut quitter au plus vite un projet va le bâcler le plus possible afin de ne plus en entendre parler... et le film en a parfois l'apparence. On pourrait s'imaginer que le mec à pris des prises random pour chaque scène (du moment que le champs/contre-champs fonctionne) a enchainé des scènes censées se passer à un jour de différence sans mettre un plan d'insert entre les deux, abusé des plans de San Francisco pour les transitions et s'est contenté de remplir le vide entre les deux péripéties du scénario pour que ça fasse pile 1h30. (1h40 avec le générique.)


D'ailleurs certains témoins disent que certaines scènes n'ont pas pu être tournées à temps: quand t'as pas de matériel, tu trouve des rustines où tu peux. C'est à mon avis pour cela qu'on entend les clients du café qui parlent 1 minute avant que Johnny et Marc ne rentrent à l'intérieur... pour gagner du temps.


En bref, si les écoles de cinéma étaient compétentes, elles montreraient ce film à leurs étudiants en disant : "Bon, alors, bande de sac à merde, maintenant que vous avez bien rigolés, vous allez voir flou à la fin de l'année lorsque vous allez vous apercevoir que votre film de fin d'étude ressemble à la bouse qu'on vient de voir."


Vous vous demandez pourquoi je mets 2 à un film aussi culte ? : C'est la note que je mets pour les nanars.

le-mad-dog
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Créée

le 16 févr. 2018

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Mad Dog

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