La Corée du Nord et la Corée du Sud, deux entités qui nous paraissent si distinctes mais dont la frontière qui les sépare est floue et pleine de mystère. Une frontière stricte au sens géographique et militaire du terme, mais peut-être pas si imperméable que cela… C’est, en tout cas, ce que veut nous montrer The Spy Gone North.
Les proportions que prennent respectivement les parts de réel et de fictif dans ce thriller politique ne sont pas clairement quantifiables, mais il est évident que The Spy Gone North cherche à s’ancrer dans une part de réalité manifeste pour étayer un discours sur les relations conflictuelles entre les deux Corées et éveiller les consciences. En effet, son aspect très « à l’américaine », son sens de la tension, l’ambiance, en font un film a priori assez grand public et spectaculaire, qui pourrait, aux yeux de certains, dénaturer le propos et discréditer son discours. Mais ce qui intéresse Yoon Jong-bin dans The Spy Gone North, ce n’est pas tant l’exposition de faits concrets et avérés, qu’une conceptualisation de l’opposition entre Corée du Nord et Corée du Sud, et l’expression d’une vision des coulisses de ce conflit.
Car l’enquête sur la capacité de la Corée du Nord à disposer de l’arme nucléaire n’est, bien sûr, qu’un prétexte pour s’exprimer plus largement sur les relations entre les deux Corées. L’un des premiers points qui marque le spectateur, sans forcément le surprendre, c’est tout le mystère qui entoure la Corée du Nord, longuement et fréquemment mentionnée en première partie de film, avant d’enfin la découvrir, avec le visage morne et affaibli qu’on lui connaît. Une véritable tension se crée du fait de l’impossibilité manifeste de la tâche, sur laquelle va jouer le cinéaste tout au long du film. Mais là où le film devient véritablement intéressant, c’est dans sa vision de l’opposition des deux Corées. Il n’y a, ici, ni méchant ni gentil, la situation étant bien plus complexe et tordue, loin d’un schéma purement manichéen. En effet, le conflit entre Corée du Nord et Corée du Sud se place ici sous le signe d’une complaisance résultant d’arrangements financiers et politiques qui enlisent les deux pays dans un conflit qui est presque devenu nécessaire pour les faire vivre et exister.
D’un côte, Park Seok-young incarne un homme d’affaires, en contact avec Ri Myung-woon, représentant des hautes institutions du Parti en Corée du Nord, de l’autre. La résultante de cette relation, d’abord basée sur des mensonges, est l’exposition d’une culture de l’argent et du profit, commune aux deux camps, source de liens économiques entre les deux pays, en contradiction avec la vision « dos-à-dos » que l’on a d’eux, et paradoxale compte tenu de l’idéologie prônée au Nord, qui montre ici ses limites. Ce sont, ici, les ficelles qui tirent les marionnettes, qui commencent à apparaître. Le conflit ne devient plus qu’une façade, créant une relation d’interdépendance entre les deux pays qui influent l’un sur l’autre à l’échelle politique et économique. Au cœur de tout cela, au fil de l’intrigue, de véritables liens se créent, et Park et Ri incarnent l’image d’une fraternité aussi méfiante que sincère, poussée par les envies de réconciliation mais entravée par les arrangements effectués entre les plus hautes instances des deux états. A l’image de ce que proposait Park Chan-wook dans Joint Security Area, Yoon Jong-bin s’intéresse à l’humain pour opposer ses intérêts à ceux du système, soulignant la suprématie d’une caste dirigeante centrée autour de ses propres intérêts, quitte à délaisser totalement son peuple et à le manipuler. C’est d’ailleurs sur une dernière image très forte et symbolique que s’achève le film, représentant la volonté et l’éternel espoir d’une réconciliation malgré tout encore illusoire et qui n’appartient encore qu’au domaine du rêve.
The Spy Gone North est un remarquable thriller politique qui nous immerge au cœur du conflit entre Nord et Sud et nous plonge dans des coulisses. Certes long dans sa durée, il est mené tambour battant pour tenir le spectateur en haleine et l’embarquer dans cette affaire passionnante, portée par d’excellents interprètes, Hwang Jung-min (A Bittersweet Life, Battleship Island) en tête. Bien que généralement grave et solennel dans son propos, le film n’hésite pas à faire preuve d’humour par moments, pour souligner le grotesque de ces machinations, tournées en ridicule pour les rendre encore plus abjectes. Il ne s’agit plus de défendre des idéologies, mais de jouer sur l’image du camp adverse aux yeux du peuple pour favoriser des intérêts économiques et financiers communs. D’une certaine manière, les deux Corées semblent réconciliées depuis bien longtemps… Mais jusqu’à quand le peuple pourra-t-il supporter cette séparation ?