Alors qu’il cherche comment faire la promotion d’une exposition d’un nouveau genre, dont le clou du spectacle est un grand carré censé représenter un milieu clos où les passants sont invités à respecter l’égalité qui devrait être au fondement de la société, un conservateur de musée (Claes Bang) se fait voler son portefeuille et son portable. Trop occupé à les rechercher, il ne fait pas attention à la campagne de promotion de l’œuvre, qui dérape dans un mauvais goût dont il devra payer les conséquences…
The Square n’appartient à aucun genre cinématographique identifiable. The Square n’est pas une comédie, ni un drame. The Square appartient à une catégorie de film très restreinte, qui pourrait constituer un genre cinématographique à elle-même : celle de la Palme d’Or. Il faut dire que le Festival de Cannes, éminent défilé de la médiocrité cinématographique, sociale et politique actuelle, ne fait plus autorité qu’auprès d’un nombre infimes de personnes qui croient, bercées par de douces illusions, que ledit Festival entretient encore un lien quelconque avec le cinéma. Or, The Square représente tout ce qui fait qu’on a mille et une raison d’abhorrer Cannes.
Ancrant son récit dans le cadre de l’art contemporain (qui n’occupe dans le film que la toile de fond et non le centre de la réflexion), milieu ô combien touché par l’individualisme qui gangrène notre société, le film d’Östlund se veut une satire sociale acérée. Mais n’est pas Billy Wilder qui veut, et Östlund ne parvient à faire mouche qu’en de très rares occasions. Multipliant les bonnes idées, le réalisateur suédois les met à bas une à une, comme dans un sinistre jeu de massacre cinématographique, enchaînant ses scènes sans aucune unité narrative, ce qui enlève toute portée au film. Pourtant, c’est avec un réel intérêt que l’on voudrait accueillir un film qui cherche à dénoncer l’égoïsme et l’individualisme de notre société moderne. Malheureusement, l’absence totale de narration et un montage à l’apparence anarchique nous empêche de ressentir quoi que ce soit face à un long délire à peine créatif de 2h20 qui paraissent en durer 5.
Restent quelques scènes intéressantes, à commencer par celle qui a fini sur toutes les affiches du film : le dîner durant lequel un « artiste » opère une « performance », imitant un singe, allant jusqu’à menacer ses spectateurs sans que personne du public n’ose réagir. Brillante scène, dont la tension ferait pâlir de jalousie le Spielberg des Dents de la mer ou de Jurassic Park, cette séquence illustre à merveille l’outrance et la radicalité d’un « art contemporain », qui n’a plus d’art que le nom, et qui, dénué de limites, ne sait plus s’arrêter, étant prêt à sacrifier son spectateur à cet « art » total. Mais cette scène ne constitue malheureusement qu’une rare fulgurance d’un film qui recule constamment devant la critique qu’il voudrait porter, se vidant lui-même de son sens dans des scènes qui n’ont pour but que de faire croire aux illuminés de Cannes qu’elles en ont un, et que ces derniers sont bel et bien l’élite de la société et du cinéma, ayant compris le message d’un film qui n’en a pas. C’est vain, c’est ennuyeux à crever, c’est prétentieux : sans nul doute, on a bien affaire à une Palme d’Or de premier choix !
Ce qui est drôle, c’est qu’à travers The Square, Ruben Östlund fait exactement ce qu’il reproche à la société de faire (c’est bien ce qui lui vaudra sa récompense), et qui est exactement ce qui caractérise l’art contemporain : il se regarde, il s’écoute, il se satisfait de son « art » et se referme entièrement sur lui-même, coupant ainsi tout lien avec le monde qui l’entoure… Malheureusement pour lui, c’est bel et bien de ce monde que son public fait partie.