Terrence Malick est à la recherche du beau, de cette bonté qui anime l’existence depuis sa création. De ce fait, Tree of Life est une quête, un chemin tortueux entre le bien et le mal, un chamboulement de souvenirs syncopés qui s’immiscent dans le refoulement d’un passé chaotique. Et dans cet exercice, le réalisateur américain ne lésine pas sur ses ressorts narratifs. Dans le cœur même de cette œuvre aussi grandiloquente qu’intimiste, les planètes s'entrechoquent pour ne faire qu'une ; les émotions éclaboussent nos sentiments d'une passion qui existe en chacun de nous.
The Tree of Life est un film total, le plus fragile et personnel de son auteur, avec To the Wonder. Un questionnement foisonnant sur nos actes et les conséquences qui s’en imposent. Utilisant le même procédé qu’avec La Ligne Rouge et Le Nouveau Monde, Terrence Malick semble sur la brèche, et par la même occasion, fragilise sa description du monde par la fragmentation de ses plans quitte à se perdre dans cette densité qui dépose les armes pour livrer une oeuvre qui transcende les codes de son cinéma voire du cinéma.
Dans son envergure humaniste, il y a une mise en perspective de l’osmose entre l'homme et la nature, d'où l'intérêt de ces longs et fascinants poèmes cosmiques sans prétention qui parcourent une bonne partie du film. Au commencement, une famille américaine. Une mère virginale. Un père obscurci et autoritaire. Puis trois frères. L’un des trois va mourir. Apprenant la nouvelle, le frère ainé va se remémorer son enfance, la présence de la chair de sa chair disparue. Derrière la mémoire, se cache cette culpabilité, cette problématique intérieure face à la mort.
Et le génie de Terrence Malick opère une sublime justesse dans l'observation des comportements rappelle Les Contemplations de Victor Hugo. Gigantesque, le film impressionne par son image, cette succession d’envolées lyriques où le tout parait être filmé telle une prière qui navigue entre les eaux, qui franchit toutes les barrières qu'elle rencontre, transpercent les cœurs d'une humanité communicative avec une voix off fissurée par le doute de l’existence.
Personnelle, cette oeuvre, terrassante, est virtuose par sa forme qui ne souffre d'aucune limite, libre de divaguer entre les arbres, entres les âmes, entre les souvenirs réparateurs pouvant faire renaitre l’esprit d’un frère disparu. Et une question imprègne le film de sa sève : où se situe la création ? Malick ne recherche en aucun cas l’expérimentation pour l’expérimentation. Il est juste question d’une expression qui se radicalise, en présence d’un homme qui pousse son système jusqu'à l'épuisement.
En perpétuels mouvements, la caméra frénétique de Malick (non sans rappeler celle d’Andrzej Zulawski avec Possession) donne sens à chaque substance, donne une consistance à chaque être vivant pour faire ressortir les ressentiments humains. C’est beau, c’est grand, c’est déchirant de voir cette idée de collision successive des plans avec cette marginalité brinquebalante et chaotique. Le propos ramène à un même niveau l'infiniment grand, l'infiniment petit.
Par ce biais, The Tree of Life devient en l’état, un processus réflexif sur le destin de l’individu et de l'humanité, de sa naissance, du « way of grace » et « way of nature ». Terrence magnifie la nature, symbole de la divinité, un environnement vierge qui essaye de subsister face à la manipulation de l’Homme et de son progrès parfois contreproductif. Mais sans jamais tomber dans le piège de la propagande, The Tree of Life est un simple geste, un humble message d’un homme qui n’est pas forcément en paix avec lui-même mais qui filme, admire ces moments de communion avec la nature, avec le soleil qui caresse la peau, ces brindilles d'herbes comme lieu de jeux.
Comme si la nature avait ce pouvoir de confession, de rédemption. C’est alors qu’on entrevoit un visage différent, d'autres rapports dans l’art poétique, un autre aspect du cinéma de Malick. Avec une mise en abime proustienne, Jack en revivant les actions vécues durant sa jeunesse a fait revivre le temps inavoué de son enfance, et il en devient par la même occasion, le créateur, pour pouvoir revoir son frère, fut-ce au travers de l’imaginaire ou d’un au-delà protecteur.
Malick voit ces actes comme lien de la condition humaine, qui ressemble en cela à la nature, également basée sur la violence avec cette idée très malickienne du paradis perdu et d'une innocence pervertie et cette équation qui évoque que personne, n'est pas à l'abri de la misère et du malheur, est en toile de fond tout le long, dans la destinée des personnages, dans le discours du père alimentant un symbolisme où la mère est présentée comme mère nature, propice à la douceur, alors que le père, sera symbolisé avec le Père d'où son conflit et sa haine. Malick transfigure ses pensées, et on atteint une portée mystique et métaphysique aussi forte et personnelle qu’avec le Miroir de Tarkovski (la mère en lévitation, qui s'élève et voltige soudain dans les airs).
Pas toujours très fin dans son approche, que cela soit dans la forme ou dans le fond, l’auteur ne se mue pas en prophète voulant prêcher la bonne parole. The Tree of Life nous montre beaucoup de choses sans forcément nous les dire et permet au spectateur de se perdre dans un dédale visuel majestueux où chacun trouvera les réponses à ses propres questions.