Deuil de briques
Qu'il fait bon de voir un film récent qui ne dure pas 2h40. J'exagère à peine, mais déjà, sous la barre des 2 heures ils sont rares, mais sous celle des 1h45 ils se comptent sur les doigts d'une...
le 18 juin 2017
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Il aura fallu attendre pas loin de trois ans, soit après le « petit » échec commercial d’Edge of Tomorrow, pour que le réalisateur Doug Liman revienne sur le devant de la scène. Une période durant laquelle il a tenté de percer dans le film de super-héros, premièrement chez Marvel (Gambit) puis du côté de DC Comics (Justice League Dark), pour finalement subir l’annulation desdits projets. Il aura juste officié en tant que producteur délégué sur Jason Bourne pour daigner revenir derrière la caméra. Et comme s’il nous avait entendu, le voici qui nous revient avec des projets plein la tête et deux longs-métrages pour cette année 2017. Alors que Barry Seal : American Traffic est attendu dans nos contrées pour le 13 septembre prochain, le cinéaste ouvre le feu avec The Wall. Un film qui, sur le papier, n’avait rien d’exceptionnel. Mais avec le travail de Liman et de bons artisans, le rendu final a de quoi surprendre et impressionner.
Par « rien d’exceptionnel » il faut comprendre que, avec ce projet, Doug Liman est loin de ses critères habituels. En effet, depuis sa consécration internationale avec La Mémoire dans la Peau (2002), le bonhomme a quitté le monde du cinéma indépendant pour livrer principalement des blockbusters (M*r. & Mrs. Smith*, Jumper et Edge of Tomorrow). Avec, au milieu de tout cela, un projet bien plus modeste (Fair Game) affichant tout de même un budget de 20 millions de dollars. Ici, le réalisateur prend les rênes d’une production indé signée Amazon Studios peu onéreuse (un coût estimé à 3 millions de dollars). Un long-métrage qui sent bon la série B américaine avec John Cena au casting et surtout un synopsis à première vue maigrelet : deux soldats de chez l’oncle Sam faisant face à un sniper irakien. En clair, de quoi livrer un divertissement bourrin et stupide, avec une surdose de patriotisme vu que, dans ce genre de script, tout est mis en œuvre pour mettre les États-Unis sur un piédestal.
C’était vraiment sans compter sur le savoir-faire de Doug Liman, qui livre pour le coup un survival movie d’une rare intensité. Au lieu de s’enfoncer dans de l’action stupide à souhait, il préfère nous gratifier d’un duel éprouvant sur le plan physique. Un face-à-face qui ne vous laissera aucun moment de répit, le danger suintant à chaque seconde du film. Un rendu que nous devons principalement aux multiples choix du cinéaste, à commencer par l’absence de compositions musicales. Juste le vent qui souffle, le bruit lointain d’une mortelle détonation, la souffrance des personnages…pour mettre vos nerfs à rude épreuve. Par une mise en scène accentuant ce constat via une lenteur de l’action pleinement assumée (les plans de la lunette des snipers façon Jack Reacher, par exemple) et la faisant exploser quand il le faut sans en abuser. Par des comédiens, principalement Aaron Taylor-Johnson, qui s’investissent pleinement dans ce projet, secondés par un véritable sniper leur ayant appris la gestuelle à adopter ainsi que certaines notions peu évoquées dans les films (dont l’utilisation des mathématiques). Et par un choix judicieux du directeur de la photographie Roman Vasyanov de mettre de côté le numérique pour privilégier un tournage en pellicule et en lumière naturelle. Ce qui permet, par le grain spécifique de ce format, de faire ressortir les conditions extrêmes et météorologiques que doivent également affronter les personnages (tempêtes de sable, chaleur accablante…). Avec tout cela en poche, The Wall se montre tendu au possible. Prend irrémédiablement aux tripes et ce dès les premières minutes. Vous épuisera autant que ses protagonistes par son réalisme et son intensité.
The Wall surprend également par une écriture beaucoup plus intelligente qu’il n’y parait au premier abord. Il est certain que le côté simpliste du film, agrémenté de clichés du genre des répliques grandement vulgaires à la Alien, rebutera les plus exigeants. Sans oublier que, si la mise en scène induit la lenteur du récit et de l’action, celle-ci donne par moment l’impression d’étirer la durée du long-métrage. Nous obligeant à subir des discussions tournant parfois en rond ou nous incitant à crier « Pourquoi tu n’as pas fait ça plus tôt ? » auprès des protagonistes. Mais malgré ses défauts, le scénario de The Wall révèle quelques richesses d’écriture inattendues dans ce type d’histoire. À commencer par l’aspect psychologique du personnage principal, dont l’expérience passée met en valeur les horreurs de la guerre et les lourdes séquelles endurées par les soldats. Le script se permet même de se montrer critique envers l’intervention militaire des Américains en Irak et ce grâce à deux détails non négligeables. Le premier étant le fait que les deux camps sont mis sur un même pied d’égalité en termes de préjugés, de naïveté et d’incompréhension de l’adversaire sur ses convictions. Et le second par le biais de répliques bien senties, dans le but de retirer toute gloire à l’armée américaine. Elle qui est restée après la fin des hostilités en prétendant développer le pays « conquis », comme construire des écoles, en récupérant le pétrole ; alors qu’elle ne pense qu’à en tirer du profit et réparer les dégâts qu’elle a causé (le fameux muret du film étant la façade d’une école, détruite par une action américaine).
Vous l’aurez compris, The Wall est loin d’être la série B tant annoncée par le synopsis. Il s’agit d’un long-métrage maîtrisé comme il se doit. Un divertissement tendu au possible et beaucoup plus malin qu’il n’y parait. L’occasion de montrer aux spectateurs qu’ils peuvent se plonger sans mal dans le visionnage de films produits par des plates-formes étrangères au cinéma (ici Amazon mais également Netflix), bien plus travaillés et ne prenant que la majorité des produits hollywoodiens actuels. Quant à Doug Liman, nous l’attendons déjà avec impatience sur d’autres projets, The Wall lui ayant permis de prouver qu’il n’est pas un réalisateur à la botte des gros studios mais bien un artisan qui mériterait plus d’intérêt de notre part qu’à l’heure actuelle.
Critique sur le site Cineseries-mag --> https://www.cineseries-mag.fr/the-wall-un-film-de-doug-liman-critique-102295/
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le 11 juin 2017
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