Premier film de Roger Eggers, The Witch s'inspire des affaires et légendes liées à la sorcellerie en Angleterre au XVIIe siècle (comme les mises à mort de Salem en 1692). La séance s'ouvre avec le passage d'un homme devant le tribunal des « faux chrétiens » d'une plantation puritaine de la Nouvelle-Angleterre. Lui et sa famille sont refoulés car leurs convictions s'opposent aux lois du Commonwealth. Ils installent leur ferme dans une clairière, prêts à vivre en autonomie et libres d'exercer leur foi. La hantise du péché est au centre (on se sait pêcheurs et nés pêcheurs, on porte le Diable, etc) et provoque des tourments trop lourds, au moment où la famille s'affaiblit à cause de facteurs externes : perte soudaine des récoltes, enlèvement du nouveau-né attribué à une sorcière, disparition du fils Caleb revenu délabré et envoûté.


L'enrobage est classiciste, minimaliste et rigoureux, cherchant l'adéquation à la Nature ; sur le fond The Witch travaille les thèmes de la foi et l'exclusion, la peur de la déviance. Dépouillée de sa fonction sociale, la religion apparaît comme un poison ; la violence contenue dans ce sérum est décuplée, ses effets presque immédiats. Ne comptant que sur elle-même, la famille de William se passe des justifications communautaires, de garantie spirituelle et ''d'assurance'' matérielle ; tout ce qui pourrait soulager l'existence, l'horreur de n'être que soi et se sentir sans légitimité, celle de si peu comprendre. La famille de William est bien seule pour un si lourd fardeau et pourrait même s'être égarée par excès d'orgueil – attaché à un chemin stérile, morbide. La réponse à cette initiative 'fondamentaliste' est une sanction et encore plus que ça. William et sa famille sont capturés par ces forces tant redoutées et globalement inconnues. En grignotant les consciences, la peur et la culpabilité empoisonnent la foi, sans même avoir besoin de la remplacer.


Elles génèrent des préoccupations morbides, font redoubler de vigilance en vain ; ils deviennent des proies en étant focalisés sur (même si contre) les ténèbres. La génération à venir est pourrie en humanité, les enfants sont damnés : la question qui se pose pour le spectateur est celle du degré. Les manifestations excentriques se donnant à voir se déroulent dans l'obscurité, sont de nature indéterminées : hystérie, démence, rêveries, agressions réelles ? Le fond de l'air nous siffle que c'est tout à la fois et que tout s'encourage. L’ambiguïté règne jusqu'à ce que la victoire du Mal s'impose. Ainsi les deux petites (Jonas et Mercy) pourraient avoir commis un pacte avec le Diable déguisé en Philipp le sombre, le bouc ; s'agissait-il d'un pauvre jeu d'enfant, faut-il comprendre que l'imagination est une menace ? Peu importe la ou les volontés, à la fin le poison porté par ce compagnon sera la seule vérité. Eggers joue avec des éléments troublants tout le long, notamment via les animaux : le lapin au regard obsédant, le nom sulfureux du bouc.


La réalisation est en emphase avec cette crainte de Dieu, sensible à cette obsession d'une vérité révélée en train d'écraser ses ouailles. Le harcèlement par les forces obscures est perçu par ce biais sur l'ensemble du métrage, au point que The Witch prend des airs de Shyamalan tournant mal, de Village avec une sous-communauté mal fagotée et préparée. Il n'y a pas de jugement exprimé catégoriquement, mais les vues du réalisateur influencent le tour pris par ces péripéties. Il éprouve manifestement une certaine défiance, ou une amertume, envers le poids des superstitions, la répression de la volonté propre et du désir féminin (le rapport à ces croyants anti-establishment est bienveillant et désespéré). Le père en défendant sa morale sans écho enfonce la famille dans la solitude et la souffrance ; certaines répliques annoncent ouvertement que Thomasin porte les fautes de son père. De plus la scène finale, en plus de consommer toutes les ruptures avec les réalités et les repères acquis, sort de la neutralité. Thomasin abandonne ses haillons, décolle de la terre et de sa misère, littéralement y compris.


Une vie de délices bestiaux et 'sublimes' s'offre à elle, contre un engagement dont les termes ne sont pas éclairés. Une telle sortie vaut plus que s'aliéner avec une religion qui vous a oublié ; et puis la perdition est là, de toutes façons ! Alors au fond du gouffre, mieux vaut s'en remettre aux solutions génératrices de plaisir, de joie, de sensations, expériences, sentiments forts, plutôt que s'échiner à rester 'droit' en pliant les genoux. S'abrutir avec la meute soumise et corrompue était déjà sûrement stérile, s'embarquer avec un micro-club en perdition un substitut empoisonné ; dans les deux cas, aucune volonté ne s'est exercée. Vendre son âme d'esclave et d'ignorant paraît dès lors moins absurde et douloureux. De plus, le semblant de réponse apporté suggère aussi que cette dérive peut être une première étape, non reconnue, vers la tentation de dissidence à Dieu ; en même temps, les puritains ont vraisemblablement lâché du lest par rapport à Dieu et refilé le paquet devenu insupportable à cette famille ; dans tous les cas, le dogme n'est plus tenable pour les Hommes en général et persévère comme un astre mort, excluant et anéantissant pour maintenir son illusion.


The Witch fournit de quoi satisfaire l'illusion historique (il a été préparé pendant 4 ans et très documenté dans un souci de réalisme) et le besoin de projections 'engagées' ou plus actuelles. En 2015-2016, ce petit budget (1 million $) plaît à Sundance et à Stephen King, connaît un grand succès critique et obtient même une ressortie. À cette occasion il s'ouvre les portes dans de nouveaux pays, comme la France. Entre-temps un Temple satanique américain [comptant 100.000 membres] fait de la récupération, en célébrant la condamnation des « traditions oppressives de nos ancêtres » qu'exprimerait le film.


https://zogarok.wordpress.com/2016/05/14/the-witch-2016/

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le 13 mai 2016

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