The Witch est déconcertant. En 1630, une famille bannie de son village va vivre à l’écart de la société et prospérer proche de la forêt. Pour se sentir en osmose totale avec les cieux et loin de la corruption d’un monde impie. Tout va basculer lorsque l’un de leurs enfants va disparaître. La première bonne idée de The Witch est de ne jamais cacher ses intentions : celle ne pas faire un film d’horreur stricto sensu. Il ne faut pas se leurrer : ceux qui s’attendent à frissonner de frayeurs seront déçus. Un peu comme ceux qui voulaient à tout prix du fantastique dans Le Village de Night Shyamalan. Dès les premiers instants, le réalisateur met un visage sur le mal qui sévit dans cette forêt dans une scène parfaite de rituel et plante le décor de ce monde qui cohabite entre surnaturel et reconstitution d’époque. Toute ambiguïté sur la nature de ce mal est dissipée. C’est alors qu’Eggers fait du spectateur un témoin privilégié du sort de l’enfant enlevé.


A cet effet, Il change de camp le socle de la peur. Au lieu de se définir comme un film qui veut faire peur, The Witch est une œuvre sur la peur. Dans un premier temps, Eggers favorise la représentation physique de celle-ci mais c’est celle de l’esprit qui va se sanctuariser et nécroser toute cette famille. Celle qui gangrène la solidarité d’une famille, celle qui provient de la nature humaine et de l’intérieur des viscères. La famille est dans le flou après la disparition du bébé. Le spectateur connait la menace, alors que la famille non. Et dans cette expectative, la famille, très pieuse invoquant ad vitam aeternam la grâce de dieu et la peur de l’enfer, va perdre pied et succomber à la folie.


Tout en y insérant une dose de sorcellerie, The Witch devient rapidement un huis clos suffocant, une étude de caractère passionnante d’une communauté dévorée par la religion et l’isolement social où la suspicion va naître autour de chaque membre de la famille. Et notamment autour de l’adolescente Thomasin, épicentre et réceptacle de toutes les intentions et de toutes les envies : la peur et haine des jumeaux, tentation charnelle pour son jeune frère et jalousie de la part de sa mère. Epris d’un pragmatisme cinématographique abouti, The Witch ne s’insère pas dans la lignée des The Conjuring ou Insidious. Ne tombant jamais dans le piège d’effet ostentatoire dans sa réappropriation de l’horreur (absence de jump scare), le film se repose notamment sur sa fulgurance scénique et la cartographie terrifiante de son environnement.


The Witch joue sur l’économie tant dans sa rythmique monolithique que dans sa courte durée, démontrant autant les qualités par l’immersion de son réalisme que les limites de ce premier long métrage quant à sa puissance évocatrice. Que cela soit sa photographie grisâtre et picturale incroyable, sa direction d’acteur habitée, sa bande sonore qui fluctue sa tension avec minutie et sa mise en scène, certes austère, mais jamais autiste dans l’approche de son rythme, The Witch offre là un véritable tour de force. La terreur s’émancipe par le simple fait de son atmosphère, de son clivage entre la chaleur du feu et la froideur des visages qui se liquéfient avec le temps ou la fragmentation entre ce langage biblique archaïque et la sophistication de sa réalisation.


Robert Eggers entrevoit l’horreur par le prisme de la vétusté de ces lieux et la claustrophobie ambiante de ce fanatisme. Ce qui permet au film d’engendrer de véritables beaux moments de cinéma comme en témoigne cette séquence où Caleb découvre le mal qui rode dans les bois ou les hallucinations d’une mère aux abois. Conte satanique aux pistes de lectures riches sur l’affranchissement et « l’élévation » de la femme et l’éveil des sens à l’adolescence, The Witch est un tableau magnifique aussi portraitiste qu’expressionniste. Comme si Le Village et Antichrist de Lars Von Trier ne faisait qu’un.

Velvetman
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le 7 juin 2016

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