Paul Thomas Anderson, fort déjà de quatre réalisations, long métrages. Je ne compte pas les courts et quelques clips. Revient sur les écrans après cinq années d'absence. Lui qui avait, pour ainsi dire, enchaîné ses premiers films, prend non seulement le temps de revenir, mais en force, et dans un style nouveau.
En effet, alors qu'il avait habitué son spectateur à des films chorals, génialement bavards, colorés, ne manquant jamais d'un certains punch et d'une sacré dose d'émotion, ce cher P.T. Anderson change d'un coup de registre. Ouvrant alors la deuxième phase de son cinéma. Phase que l'on pourrait qualifier d'"exigeante".


There Will Be Blood, très librement inspiré du roman Oil! d'Upton Sinclair, marque d'une pierre blanche le cinéma des années 2000, et à mes yeux, l'histoire même du cinéma. Devenu une référence cinéphilique assurée, ce joyaux brut est rapidement devenu mon favoris dans la filmographie de l'Américain, n'évinçant pour autant pas ses quelques autres chef d'œuvres.
Il m'est encore difficile de croire qu'on peut être brillant au point d'écrire une telle œuvre. Je le pense aussi pour ses films passés et suivants, mais particulièrement pour celui ci, et The Master. Ces deux œuvres, écrites d'une même personne, c'est tout simplement impressionnant. Impressionnant de richesse contextuelle, on sent qu'Anderson est un bosseur, un potasseur, il fouine, cherche la moindre petite miette de crédibilité. Ce qui ne l'empêche pas pour autant d'apporter ici et là sa petite touche plaisante de grotesque. L'homme ne manquant jamais d'humour, même dans les pires moments de cynisme. Le coup du milkshake étant certainement l'apothéose dans ce film ci.


Avec cette œuvre, P.T. signe un contraste impeccable entre intimisme et ambition. Intimisme, car le film se repose principalement sur une opposition de deux personnages, dont l'un a une relation père-fils. Et ambitieuse, car cette opposition mets tout simplement en scène ce qui fait l'Amérique d'aujourd'hui. Enfin, "opposition"... Quand cela peut devenir une affiliation, ils ne s'en privent pas.
Car, ce que raconte There Will Be Blood... Petite parenthèse sur ce titre quand même, putain ! Simple et efficace. Tellement, que oui, en effet, il y aura du sang. Ce titre explicite qui respire pourtant le second degré. Un bel entre deux.
... Cela raconte, ou plutôt conte, le besoin de bâtir. Bâtir un empire, contrôler quelque chose, disposer de quelque chose, l'avoir à tout prix pour soit, ne pas hésiter à écraser les autres pour l'avoir, allant jusqu'à en perdre toute notion d'humanité, devenant alors un vieux grincheux dans son énorme manoir.
Le pouvoir du capitalisme dans toute sa noirceur. Partant de presque rien, Daniel Plainview, nom cocasse tant il démontre bien l'esprit malin du personnage, lâche sa prospection d'argent pour se lancer dans le pétrole. Chose pour laquelle, à l'époque, il n'y avait quasiment qu'à se baisser pour en avoir. De nos jours c'est un peu plus nerveux comme situation, ça se bagarre au pistolet et autres objets bruyants à base de soufflerie extrême, 'fin bref...
Plainview bâtit ainsi son empire pétrolier. Contrôlant aisément les pauvres gens possédant les terres imbibées grâce à son bagou et sa botte secrète, un jeune orphelin de dix ans qu'il fait passer pour son fils. Tout roule jusqu'à l'arrivé d'Eli Sunday, une sorte de faux prophète qui se croit plus malin que Plainview et tente ainsi de lui sous tirer une partie du magot. C'est donc là que s'affronte capitalisme et religion, chacun voulant profiter de l'autre. Deux fondements de l'Amérique, et deux arnaques bien rodées toujours en état aujourd'hui. Plus forts que jamais même.


Paul Thomas Anderson, à sa manière bien spécifique, celle de ne jamais trop s'attarder, de laisser comprendre sans jamais faire durer l'explication, sans jamais en rajouter, prouve une fois encore son efficacité et sa singularité. Car au final l'œuvre semble très complète, voire complexe, pourtant il ne s'agit que d'une ascension classique avec ses rouages malsains et ses mécaniques de manipulations. C'est très fort. Percutant également. Car forcément Anderson est un auteur et un réalisateur libre, qui ne s'enferme dans aucun carcan ou dispositif fixe. Donc s'il veut mettre du Jonny Greenwood qui tape sur Daniel Day-Lewis qui court en travelling, un gamin dans les bras, avec un derrick en fond qui flambe, bah il le fait !


Greenwood, du célèbre groupe Radiohead, ne semble plus quitter le réalisateur depuis cette première collaboration. Sa manière de composer des morceaux atypiques, voire "agaçants" est tout à fait délicieuse. Moi qui suis un grand fan des musiques d'ambiances brusques à base de percus ou de violons stridents, je ne peux que me régaler en entendant les morceaux "Convergence", "Future Markets", "Eat him by his own light" ou encore "Proven Lands".


En terme de mise en scène, le réalisateur reste fidèle à lui même, dans une certaine mouvance perpétuelle, notamment durant l'intensité de certaines scènes. D'une maitrise on ne peut plus salutaire, il conte sa fresque avec élégance et énergie.
Pouvant se targuer d'un Daniel Day-Lewis au bord, si ce n'est parfois en plein cabotinage savoureux, il lui offre ainsi son second Oscar. Non démérité, loin de là, car Day-Lewis performe, comme souvent dans sa carrière, et là peut-être plus que jamais. De la démarche à l'accent, les mimiques, le choix lui même du chapeau du personnage, et j'en passe. Ses préparations de rôles sont légendaires de toute manière.
Il est opposé au jeune Paul Dano, que je suis attentivement depuis. Dano qui joue les deux frères Sunday, alors qu'il n'était prévu à la base que pour le petit rôle du frère Paul. Ouais... Paul joue le rôle de Paul dans un film de Paul, pour lequel Daniel joue Daniel. Donc autant dire que niveau schizophrénie on côtoie un certain style.
Bref. Un autre acteur avait la charge du rôle de Eli Sunday jusqu'à ce qu'Anderson comprenne que ça n'allait pas, et décide donc d'effacer trois semaines de tournage pour recommencer avec Dano dans le rôle d'Eli. Je vous ai perdu ?
En très bref alors. Paul Dano est un opposant de taille à Day-Lewis. Car il est superbe dans ce rôle. Voilà tout. Pourquoi vous m'embêter avec vos questions à la con aussi là ?!
Dillon Freasier, gamin de dix ans pour lequel ce film sera le premier et le dernier en tant qu'acteur, fut choisit parce qu'il savait manier une arme et monter à cheval. Un vrai petit Texan, qui s'avère très juste.


Avant de finir sur ce sur quoi j'ai envie de finir, parce que je fais ce que je veux, j'ai juste envie de lâcher cette petite anecdote de tournage amusante. Peut-être déjà connue par vous :
"A l’été 2006 quelque part au fin fond du Texas. Deux équipes de cinéma viennent de poser leurs valises dans la région, autour de la petite ville de Marfa. D’un côté, les frères Coen sont là pour filmer No Country For Old Men. De l’autre, Paul Thomas Anderson attaque les prises de vue de son There Will Be Blood.
Au beau milieu des deux tournages, un essai pyrotechnique est réalisé sur le plateau de There Will Be Blood pour une scène de forage. Petit souci, la répétition va provoquer un gigantesque nuage de fumée noire qui va s’élever très très haut dans le ciel. Jusque-là, rien de bien dramatique. Sauf qu’un peu de vent est venu se mêler à l’affaire… dirigeant l’épaisse colonne de fumée droit sur le tournage de No Country Fo Old Men qui avait lieu à seulement quelques kilomètres. Le plateau fut tellement impacté par la fumée que les frères Coen ont dû se rendre à l’évidence : il fallait tout arrêter le temps que ça se dissipe. L’équipe ne put revenir bosser que le lendemain. Bon, finalement, il se vengea de cette petite mésaventure aux Oscars… en chipant l’Oscar du « Meilleur Film » à son voisin !
"


Inutile de parler plus longuement, ou du moins si, bien sûr que si ! Parlons longuement de ce chef d'œuvre. Analysons le, si on a l'envie. Décortiquons le. Réfléchissons le. Faites en ce que vous voulez. C'est une œuvre rare et forte, qui mérite autant qu'on en parle, autant qu'on la respecte en silence.
Ses thèmes sont nombreux et vastes : Famille, profit, jalousie, superstition, manipulation, pulsion, opportunisme, j'en passe. Il y a tant à dire. Tant à laisser maturer également. C'est pour cela que mon simple avis me suffit à moi même. Je verrais pour décortiquer l'œuvre lors de mes vieux jours, seul dans mon manoir, allongé sur l'une de mes pistes de bowling, bourré.


Évidemment ! C'est là dessus que je veux finir. La séquence finale ! Ce dialogue une fois de plus totalement humiliant pour Eli, délivrant ainsi toute la haine animale en Plainview, désormais dénué d'humanité, ou presque. Cette comparaison à base de Milkshake. Ce cabotinage merveilleux de Day-Lewis. Ce sens du dialogue ciselé. Ce décor froid, terrain de jeu transformé en mouroir. Telle la planète, ce terrain d'opportunité et de jeu, souillé par l'homme, par le sang versé.
Puis tout simplement la mise en scène, bon sang. Ce plan final que je ne pourrais jamais oublier, avec cette simple phrase lancée par Plainview assis de dos à la caméra. Ce cut au noir brutal sur fond virulent de Violin Concerto in D Major Op.77:3 de Brahms. Jouissif au possible ! Inoubliable !


I'm finished

Créée

le 3 mars 2021

Critique lue 150 fois

8 j'aime

MC™

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8

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