Par rapport aux autres films de Wheatley, celui-ci a l'avantage de présenter quelques caractères établis. Ses deux protagonistes sont anormaux et pas spécialement approfondis, mais ils sont le fruit d'un effort de définition et on passe du temps avec eux autant qu'avec leurs agissements. Wheatley développe son originalité, même si l'acceptation de la lisibilité (Kill List et English Revolution jouent sur le flou et les trous) le désarme, rendant cet opus moins remuant que les autres. Il affiche une espèce de gravité bizarre, car le mépris du 'premier degré' est constant mais une détermination se fait sentir. Wheatley vise autre chose que la gaudriole, sa cible doit être l'insolite 'spontané'.
Le principal atout de Touristes est son humour noir et taquin. Lui (Chris par Steve Oram) est un sadique avec tendances paranos, cachant mal son jeu mais trouvant toujours des crétins ou des plus aberrants que lui pour passer. Sa première apparence est celle d'un paumé tendance pervers bien-pensant, la couche en-dessous celle d'un passif-agressif : au fond c'est un psychopathe et un tocard ordinaire. Tina (Alice Lowe) verse davantage dans le ridicule et le régressif, rattrape son fiancé champion facile dans l'abjection en étant un poids lourd dans la stupidité. Apparemment toujours manipulée, elle semble consentante pour se faire endormir. On ignore si elle évite de regarder l'évidence en face ou si elle a un retard véritable (l'appareil photo) ; dans tous les cas son égoïsme arbitre.
Ce road-movie de semi-prolos grandiloquents trouve vite ses limites, avec celles des personnages qui sont la seule attraction solide à l'horizon. L'écriture ne les développent pas, privilégiant la bonne farce à base de machiavélisme ou de méchanceté, versant dans l'improbable artificiel à défaut d'imagination ou de longueur d'avance. Leur relâchement permet d'en rajouter dans le côté grotesque décontracté et rabougri, puis s'essouffle rapidement. Le flottement domine jusqu'à une fin contradictoire, quoiqu'ouverte, avec un nouveau personnage fade et l'amorce d'un renversement bâclé. L'humour est surtout verbal (avec une résonance locale, culturellement voire politiquement : « c'est pas un humain, c'est un lecteur du Daily Mail »), se traduit en sarcasmes légers ou en proximité placide mais intéressée avec des perversions. Le film tutoie une sorte de sous-burlesque, avec ses échos pathétiques et morbides en surface, systématiquement décharnés et insipides émotionnellement.Touristes s'épuise en redites et se noie dans les platitudes, revenant sur ses détails pittoresques comme la culotte en laine fendue.
Il souligne sans le nourrir le côté 'créatif torturé' ridicule du tandem, à elle surtout (la brave femme faisant la fan de son homme, qui lui se voit en malin 'indépendant' plutôt qu'en 'poète maudit'). Les répliques idiotes et sans valeur se multiplient, comme si les quelques punchline réussies devaient irradier sur celles se contentant de mimer la cruauté. C'est odieux mais secrètement timoré. Le style est maîtrisé sans être éloquent, la désinvolture exagérée muselant les doutes qui pourraient germer, justifiant les faiblesses et le manque d'épaisseur. Wheatley n'est pas un 'manchot', son œuvre jouit d'une certaine qualité technique et il a une capacité à produire de l'effet, à épater visuellement. Cela tourne à la bouffonnerie 'psychédélique' dans English Revolution, mais retient d'envoyer Kill List directement à la poubelle. Ici, il donne plutôt à voir du paysage, avec la campagne anglaise, ses zones de sérénité et lieux de désolation, sans tragique ni noirceur. Les délires de païens type bâtard de Wicker Man sont encore au rendez-vous.
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