Woody Origins.
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Toy Story joue depuis ses origines un double jeu : il s’adresse aux enfants et propose simultanément une réflexion sur leur propre divertissement : illusion et distanciation constituent donc sa double dynamique, à l’œuvre dans la jubilatoire séquence d’ouverture placée sous le signe de la SF et voyant Buzz aux commandes d’une des aventures dont il se croyait dans l’opus originel le héros réel. En le faisant abruptement mourir, la rupture est consommée : en passant du jeu vidéo au long métrage, le programme est posé et les difficultés posées aux jouets seront d’un autre ordre. Au game over sans cesse renouvelable se substitue un mal bien plus grand, celui de l’usure et du temps qui passe. Woody, sur l’étagère, se retrouve à une marche du grenier, purgatoire des jouets en phase d’abandon.
Puisque les bases sont posées sur le don des jouets à leur propriétaire depuis le premier volet, l’intrigue va approfondir le rapport au temps par les voies divergentes des deux protagonistes. Woody le vieillard se voit proposer comme substitut à la mort l’éternité du culte, en devenant une pièce de musée figée dans sa gloire (et occasionnant au passage une jolie réflexion sur l’histoire de l’industrie du divertissement, des séries originelles de marionnettes à fil à la naissance du merchandising et des produits dérivés). Buzz, de son côté, se trouve confronté au présent effrayant de la mode, produit standardisé et décliné à l’infini, annihilant son individualité et permettant de réactiver l’insolite comportement du soldat de l’espace ignorant son statut de jouet.
Le comique du combat contre lui-même, l’angoisse de le voir rangé dans un rayon qui le reproduit en masse, se retrouve en écho dans l’une des très belles séquences du film, celle de la restauration de Woody avant son envoi au musée : travail sur le temps, ode à l’artisanat, c’est une mise en abyme du travail d’animateur qui, au sein de l’artifice le plus virtuel, s’acharne à individualiser ses personnages et fait montre ici de toutes les évolutions en matière d’image de synthèse.
L’action n’est pas en reste et sait équilibrer les échanges sur la destinée des personnages (un rien longuets, notamment entre Woody & Jessie), exploitant le ressort qu’on retrouvera encore dans le troisième volet, celui de la mission de sauvetage et de l’évasion. Le monde se résume ici à une route à traverser et un immeuble à gravir, occasionnant les séquences dont Pixar a le secret, débordant d’inventivité et de mouvements, de sens du détail et de comique visuel. Chorégraphie des véhicules au fil des plots sur la route, valse avec un ascenseur, la fluidité est totale et les attributs de chaque jouet exploités à merveille.
Cette alternance entre scènes mobiles et angoisse existentielle met au point un équilibre de haute volée dont le secret réside dans le principe même du film : celui de donner accès à l’invisible. Coulisses de l’espace, celui de la cage d’ascenseur ou des tapis roulant des bagages de l’aéroport, bande-annonce du magnifique final de Monstre et Cie dans le ballet des portes, mais aussi de la magie de l’incarnation. Des créatures inertes prenant vie et accédant à la conscience, du mouvement autonome et de la dépendance au vivant, c’est-à-dire à la fuite du temps, nait ce mouvement aussi irrépressible que fragile : celui de l’émotion.
(7.5/10)
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le 11 juil. 2015
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