C’est avec une certaine malice que Verhoeven débute son deuxième film, dans cette délicieuse période hollandaise durant laquelle il affirme sans complexe aucun ses obsessions et sa patte si particulière. Avant un flashback qui permettra de déterminer la nature fantasmatique des séquences, c’est par une débauche de sexe, de meurtres et de gore que débute le film. A la manière des séquences grotesques de Benny Hill, l’acerbe violence en plus, tout va trop vite : drague, sexe et vulgarité orchestrent un ballet criard où l’on actionne berceau et lave glace au rythme de coïts frénétiques, appendices coincés dans une braguette 25 ans avant Mary à tout Prix, dans une atmosphère décomplexée proche de la nouvelle vague (on pense notamment au dilettantisme du Départ de Skolimowski), une sorte d’hédonisme iconoclaste sur le fil, capable de basculer dans le trivial ou l’obscène d’un instant à l’autre. Car Verhoeven n’a pas pour seul but de restituer le fil d’une idylle qu’on sait condamnée dès le départ : jouant sur l’attente du spectateur, le scénario joue sur les multiples pistes qui mettront à bas l’amour sauvage dans un monde civilisé. Etrons sanglants, chiens léchant goulûment la perte des eaux d’une mariée en urgence, le réalisateur infuse dans la jeunesse échevelée les miasmes putrides de la vie réelle : la maladie, certes, mais surtout la gangrène du monde adulte, figé, pétri de contradictions dans ses rites, notamment à travers la figure de la mère, tour à tour touchante dans sa souffrance et grotesque dans son incohérence rivée aux concepts de réputation ou de tradition. Banquets effrayants, hystérie collective et monstruosité gagnant progressivement les êtres sont les pentes sur lesquelles glisse tout individu s’il n’est pas un poète maudit. Ce mélange éclectique permet donc une satire acide la société néerlandaise, tout en permettant aux fringants Rutger Hauer et Monique van de Ven, qu’on retrouvera dans Katie Tippel, de se livrer corps et âmes dans cette union placée sous le signe du mouvement et de la fluidité, jusqu’à une très belle reprise en version couple de la mythique séquence de Singin’ in the Rain.
Certes, à tant jouer avec l’excès, le film peine par instants à trouver son équilibre et c’est avant tout comme une curiosité audacieuse qu’on déguste ces Turkish Delices qui mêlent l’acidité de la jeunesse à l’amertume de la mort. Alors qu’il semble d’avantage occupé par la destinée du personnage masculin, c’est bien son obsession pour la figure féminine qui traverse tout le récit, en témoigne son activité artistique et la statue qui restera de sa muse : en cela, ce film de jeunesse augure bien l’une des thématiques favorites à venir du maitre hollandais, le portrait de femme.


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Sergent_Pepper
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le 15 sept. 2015

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