L’incursion de Dumont sur le territoire américain a un mérite très net : celui d’expliciter sa fascination pour cette terre qui semble par essence cinégénique. Le rapport du cinéaste au paysage a toujours été très charnel, mais alors que sa filmographie insistait surtout sur un certain naturalisme et une influence de la terre sur le comportement bestial de l’homme (dans La vie de Jésus et surtout L’Humanité, mais aussi les contrées solaires de Flandres), 29 palms marque une certaine rupture ; ici, la beauté plastique semble l’emporter, un temps du moins, sur les enjeux dramatiques, et le film se fait contemplateur d’une beauté presque inaccessible (et qui donnera lieu à certains des très beaux instants suspendus et picturaux de P’tit Quinquin).
Road movie désincarné, le film semble marcher dans un premier temps sur les traces du Zabriskie Point d’Antonioni : paysages grandioses et fusion des amants dans le sable brûlant, incommunicabilité dans un silence spatialisé à outrance le réalisateur travaille ses tableaux et superpose au silence une beauté plastique à la fois rédemptrice et illusoire. A ceci s’ajoute la marque que Dumont a toujours donnée à ses personnages, êtres mutiques et capables des décrochages les plus brusques : rires hystériques, violence sourde, crises de jalousie ponctuent un trajet insolite au volant d’un Hummer rutilant qui semble attendre de ne plus pouvoir avancer sur les terrains de plus en plus accidentés.
Long, lent, déstabilisant, le récit pose avec perversité les germes d’un déchainement à venir, et l’attente devient de plus en plus oppressante à mesure que les personnages accusent des signes de fébrilité : rapports sexuels de plus en plus bestiaux, disputes inexplicables et altercations avec des locaux qui semblent un temps reprendre la dynamique du Duel de Spielberg. Les ellipses semblent elles aussi se précipiter vers la béance finale qui vire vers le trauma originel de Delivrance et en constitue ici presque l’aboutissement. Dès lors, le récit bascule, et sur une aliénation qui cite presque Psychose, achève tout ce qui refusait de véritablement se construire.
Reste dans le plan final un paysage qui reprend ses droits, un soleil qui fait ce qu’il sait le mieux faire : brûler la peau, sécher les corps qui fusionnent enfin avec la terre dans l’indifférence généralisée. Dumont a eu beau nous faire croire au rêve américain, son regard noir revient au galop.

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Plastique et formaliste, Nature, Psychologique, Erotisme et Violence

Créée

le 27 mai 2015

Critique lue 2.6K fois

38 j'aime

5 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2.6K fois

38
5

D'autres avis sur Twentynine Palms

Twentynine Palms
Andy-Capet
5

Ode à Fénéon

Il me reste Flandres et je les aurai tous parcourus. J'aurai vu tous les Dumont. C'est l'avant-dernière station de la rétrospective, avant de retrouver le présent. Ce n'est pas tant que son cinéma me...

le 17 janv. 2013

16 j'aime

15

Twentynine Palms
Plume231
1

À l'Ouest, rien de nouveau !

Bruno Dumont quitte pour la première fois Bailleul la durée complète d'un film et pas pour n'importe quelle destination... eh oui, les States, America Fuck Yeah, et plus précisément la Californie. Il...

le 21 févr. 2022

15 j'aime

9

Twentynine Palms
Fatpooper
5

Rapport de force

J'ai lu le pitch: un photographe et sa copine font des repérages et baisent un peu partout. Ca fait envie. Après, on s'aperçoit que le film n'est pas juste destiné aux jeunes en pleine puberté et qui...

le 4 août 2013

11 j'aime

2

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53