Il me reste Flandres et je les aurai tous parcourus.
J'aurai vu tous les Dumont.
C'est l'avant-dernière station de la rétrospective, avant de retrouver le présent.
Ce n'est pas tant que son cinéma me plaît ou que j'aime ses thématiques de personnages en quête et de leur relation à la nature des éléments.
Je crois que c'est parce qu'il est abordable, que son cinéma n'est pas parfait, qu'il raconte autre chose et autrement.
Je crois que c'est son rapport à la nature que j'aime mais aussi à la passion, au parcours initiatique.
Jusqu'ici, je suis flou et je le confesse, ce n'est pas dans mes habitudes. Mais voilà, c'est comme ça. Chez Dumont aussi, c'est comme ça. Dans Twentynine Palms, Katia... Elle est comme ça. De nature, de blessure, qu'importe.
Il y a des nouveautés dans celui-ci : la rencontre est déjà faite. Je veux dire par là que, d'habitude, les protagonistes de Dumont vont vers les autres et ils sont seuls la plupart du temps, même quand ils sont deux. On peut très bien se tourner vers soi en permanence alors qu'on est en compagnie. Ici, c'est un couple qui fait l'initiation de son couple, de ses fragilités et de ses spécificités. J'ai beau les trouver fragiles - à voir comme elle craque ou comment ils font l'amour - mais ils sont deux. Cette impression est d'autant plus vraie, à mon sens, qu'elle ne se communique pas mais se partage. Chaque plan amène son rapport de force intime et embrasse l'autre. Bien sûr, il y a toujours une solitude mais elle est moins présente. La fragilité du couple est accentuée par la vulnérabilité induite par le voyage à l'étranger. C'est s'avancer dans l'inconnu. C'est s'avancer au présent.
La question du repérage photographique est intéressante aussi dans le sens où je sais que, d'une part, Dumont est un grand repéreur au niveau de la région Nord - Pas-de-Calais. C'est la première fois qu'il repère ailleurs et il est toujours aussi pointilleux. D'autre part, au niveau de cet apport dans l'histoire, il y a le sentiment que les instants à deux sont assez éphémères : dans une voiture, l'on tend peut-être vers le même chemin mais pour dialoguer, ce n'est pas évident. Leur occupation photographique leur fait découvrir les décors où il font l'amour, où ils font corps. Ce n'est pas pour rien que l'action se situe à Twentynine Palms, ville du désert de Mojave au Sud de la Californie, célèbre pour ses palmiers. Pour un repéreur pluvieux comme Dumont, c'est le côté aride qu'il l'intéressait, le fait que l'eau sexuelle soit encadrée par la piscine de l'hôtel.
En dehors de cette piscine et de son apesanteur, de cet îlot de fraîcheur, le couple ne trouve ses marques dans des décors somptueux. La douleur de Katia semble être diffuse, semble s'emparer de toute la nature. Et David photographie Katia au travers son invisible douleur qui les dissocie. Le soucis, c'est que la photographie fixe sa fascination mais jamais elle ne saisit le mouvement de la douleur d'être un corps. La photographie regarde un fragment par la lorgnette. C'est pourquoi aucune photographie ne sera prise lors de ce périple. Cela s'entend. D'ailleurs, David, pas plus que Katia, ne trouveront pas ce qu'ils cherchent.
Pour comprendre les inexactitudes angoissantes, l'ambivalence de Katia, il faudrait que David vive, qu'il fasse expérience, qu'il sache ce que ça fait quant une voiture s'approche dans la nuit, ce que ça fait de prendre un volant entre ses mains. Mais cette expérience - forcément douloureuse - inclut la mise en danger voire l'annulation d'être à deux, annulation idem de l'intérêt de photographier. Plus de couple, plus de quê-quête, si je puis me permettre.
Quand Katia jouit, on dirait qu'elle accouche de sa douleur. Rien n'est plus comme avant. David est pour Katia une habitude. Mais dorénavant, elle cherche à se sauver à travers David pour des raisons qui lui paraissent logiques. Parce c'est comme ça et que rien ne sera plus comme avant.
Pour les raisons qui ont construit cette analyse, j'aime la dissection et l'exactitude de Dumont pour discerner les choses de l'invisible, et croire un instant qu'elles sont plus manifestes parce qu'elles sont violentes, c'est se tromper. L'histoire du chien écrasé est révélatrice pour comprendre Katia. C'est se tromper de croire que le chien "va bien" parce qu'il est vivant... ou mort. C'est se tromper de croire qu'une police peut servir de justice intime alors qu'il y a urgence de décompenser sa douleur.
J'aime parce que les choses qui n'apparaissent pas dans le film, ce qu'il manque à leurs protagonistes, contribuent en priorité à les accoucher.
Et, si j'ai encore une confession à faire, c'est que le rapport des choses n'est vraiment, vraiment pas ma tasse de thé : Dumont incarne tout ce qu'il me manque et auquel je ne crois pas.
Maintenant, je sais que Dumont me plaît parce qu'il se trompe, mais il se trompe avec beaucoup d'intérêt. Ah ! Si je pouvais ne pas aimer tous les films comme celui-ci, j'en serais on ne peut plus heureux...
Et maintenant comme promis, une ode à Fénéon :
Dans ce huis-clos à ciel ouvert
On ne choisit pas son fait divers :
La Coloscopie en plein désert.