L'écho
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le 20 oct. 2014
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- J'ai faim moi. Je suppose que toi non. Hein ?
- Tu m'as regardé .
- Non je ne t'ai pas regardé, mais je t'ai vu acheter des gâteaux.
- J'ai pris les plus dégueulasses.
- Moi j'étais en pension et il y avait pas de gâteau, et les gâteaux ça ne me disait rien. J'en mange pratiquement jamais.
- Ne me dis pas ça, ça m'aide pas.
- Je me tais.
- Moi des gâteaux on m'en a donné pour me consoler. J'étais toute seule. Maman travaillait. Toi tu'avais quitté la maison. Puisque j'en rêvais depuis des années de vous unir maman et toi.
- Moi aussi.
- Rien qu'en me pliant en deux je peux vomir. Si ce n'était pas douloureux je m'éventrerais.
- Je ne voulais pas que tu viennes. Je voudrais t'aider. Ici je peux pas, c'est même le contraire.
- Je demande rien.
- Quel orgueil.
- Ça ne t'intéresse pas de savoir d'où il vient mon orgueil .
- Si si si, mais pas maintenant... Allez. Allez allez, sortons !
- Non non non non. Je vais te le dire et tu vas m'écouter. Fallait que je me débrouille toute seule. Sans père, sans frère.
- Ça va, hein, ça va, ça va.
- Non ça va pas. Moi je ne suis pas une de tes maitresses. Et tu vas pas te défiler une fois de plus.
Un étrange voyage est un joli drame existentiel profondément humain sur les liens bien souvent énigmatiques qui unissent un père et sa fille, ainsi qu'une mère et un fils. Les relations père/fille sont souvent chargées de malentendus et surtout d’ambivalence, au contraire d'une mère et de son fils où la relation est plus souvent fusionnelle. Les rapports humains dans ce film fonctionnent admirablement bien. Une véritable étude des comportements passionnants à observer, où chacun se confond dans un traitement humain et sincère à travers un scénario transcendé par deux personnages attachants. Une intrigue intimiste sur un scénario bavard mais saisissant parlant de la vie, de la mort, mais avant tout du pardon entre un père et une fille détériorés par la vie.
La particularité de ce récit vient de son élaboration particulière, étant écrite (à la demande du cinéaste) par la comédienne Camille de Casabianca, qui n'est autre que la fille du réalisateur d'Un étrange voyage, Alain Cavalier. Des mots de Casabianca : " on retrouve dans ce long métrage une large part autobiographique au niveau de la relation père et fille." Cela ajoute encore plus d'intelligence et de fond à cette oeuvre, sachant que l'intrigue est également inspirée d'un fait divers réel. C'est dans l'élaboration d'un scénario ingénieux présentant un fils quinquagénaire recherchant sur des centaines de kilomètres de lignes ferroviaire le potentiel cadavre de sa mère tombé d'un train en marche, aidé par sa fille qu'il a maintenue loin de lui durant toute sa vie, que le récit trouve toute sa puissance dramaturgique.
Un échafaudage de sentiments très bien construit, d'une justesse remarquable et touchante qui nous transporte littéralement. C'est dans cette marche funèbre où le fils doit faire le deuil de sa mère qu'il aime profondément, qu'il trouve la force d'ouvrir son coeur à sa fille, qui ne le considère plus comme son géniteur depuis longtemps. Au fur et à mesure du récit chacun réajuste ses sentiments, la relation entre le père et sa fille devient plus sereine, le temps de la réconciliation est venu, sauf que le malaise est bien trop grand pour pardonner. Entre une fille boulimique et un père proche de la sénilité affective, la page s'avère difficile à tourner. C'est ainsi qu'ils doivent se redécouvrir et s’apprivoiser, avec pour fatalité une dague invisible au-dessus de leurs têtes, prête à les frapper par la potentielle découverte du corps de la mère/grand-mère.
Le cinéaste Alain Cavalier signe avec Un étrange voyage un film intérieur et personnel à travers des scènes fortes et touchantes brillamment interprétées. Jean Rochefort est extraordinaire, il fait preuve d'une interprétation mémorable. Un talent d'expression lourd de sens, avec un regard fascinant, et une manière d'aborder le deuil sincère et désarmant. La manière dont il s'adresse à sa mère autant dans ses rêves que dans ses complaintes éveillées est bouleversante. Jean Rochefort amène beaucoup d'épaisseur dans le rôle du père. Camille de Casabianca interprète la fille, à travers une incarnation inégale, elle réussit tout de même à tenir un minimum tête au génie de son acolyte quinquagénaire. Je lui tire tout de même mon chapeau vu l'implication dont elle fait preuve.
Vu la teneur très forte du propos de l'intrigue, avec l'interprétation sans failles de Jean Rochefort, il est dommage de trouver une réalisation simpliste, à l'image fade avec des plans souvent fixes. La technicité n'est malheureusement pas à la hauteur du récit. Heureusement quelques plans séquences rehaussent le tout, comme avec l'excellente scène d'ouverture. On ne trouve aucune musique, sauf pour la dernière séquence, où simplement deux notes se font entendre, transperçant de leurs sonorités le silence morbide. Une allusion à la réconciliation par deux tonalités correspondant à celle du père et de sa fille retrouvés.
CONCLUSION :
Un étrange voyage est une oeuvre profondément intime et bouleversant, mettant en avant un récit riche en texture sentimentale, avec deux comédiens inspirés tirant l'intrigue vers le haut ( en particulier Jean Rocheford qui est tout bonnement incroyable ). Une oeuvre à voir absolument pour l'authenticité et la complexité de sa relation père/fille.
Un film qui traverse les années sans jamais perdre en crédibilité.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste « Cocorico ! » : classement du meilleur au pire des films appartenant au cinéma français
Créée
le 20 juin 2020
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