Vraiment sympathique ce petit film français sur la deuxième guerre mondiale en Lybie, et pourtant il repose sur très peu de choses. Cinq hommes, une jeep, un désert, c'est tout ou presque. On est dans le minimalisme, mais conduit par un scénario habile qui ne fait pas dans la fioriture et ne tombe jamais dans les facilités, sorte de huis-clos survival qui met en avant l'absurdité de la guerre par un ton léger mais non moins réaliste, et des dialogues de Michel Audiard au top (profonds et caustiques, comme d'habitude), le tout mené par un Lino Ventura (mais les autres acteurs ne sont pas en reste) en grande forme dans son rôle habituel d'incontournable râleur aux épaules larges, il en faut parfois peu pour être heureux.


Ça démarre bien avec une courte exposition, histoire de se mettre dans le bain pour faire connaissance avec nos larrons, mais loin de tout nous dire, c'est seulement en cours de route qu'on va découvrir leurs véritables personnalités. Et quelle route puisqu'on les retrouve très vite paumés au milieu du désert essayant de se dépatouiller comme ils peuvent en comptant les uns sur les autres. On imagine un peu la difficulté de tourner dans ces déserts naturels d'ailleurs bien mis en valeur par un joli travail sur les contrastes et la photo, ce qui contribue à donner un air d'authenticité remarquable à l'ensemble.


L'intelligence de la narration repose sur un manichéisme absent et une finesse dans le traitement des personnages que l'on découvre peu à peu, en fonction de cette situation qui les met donc en relation avec un allemand qu'ils détiennent prisonniers. Eux incarnent une certaine tranche de la société bigarrée de la France dont nous avons eu un petit aperçu en introduction, et la réalité de la guerre se fait toujours présente malgré la légèreté ambiante, assemblée autour de cette idée de prisonnier de guerre qui soulève bien des débats. Et lui, c'est un simple mec qui est là au mauvais moment et au mauvais endroit mais qui a aussi plus d'un tour dans son sac. Et au lieu de trop vite l'identifier comme un méchant nazi ou un sympathique camarade, la route sera longue pour mettre à l'épreuve l'identité du groupe.


C'est en passant par des situations plus cocasses les unes que les autres que notre groupe dépareillé va progresser, accompagnées de sueur, de bon pinard, et de franches engueulades tempérées par l'envie de survivre en terrain hostile (malgré un petit moment de latence au début, très drôle d'ailleurs, qui nous annonce que les gros bras n'auront de cesse affaire aux intelligentzia et inversement). La seule voie possible, une bonne délégation des talents de chacun, jusqu'à ce qu'enfin les tensions et les protocoles de guerre s'effritent au profit d'une sincère fraternité. C'est la raison pour laquelle lorsque la réalité revient si sournoisement, au détour de petites séquences aussi courtes que sèches, qu'en un quart de tour on se met à penser comme Dudu, que cette guerre, toutes les guerres (le minimalisme du tout fait qu'on tend encore plus à l'universalité du propos), c'est un peu de la merde, ce qui nous amène à un gros contraste avec cette victoire tonitruante en guise de dénouement.


Bref, Taxi pour Tobrouk déploie, mine de rien, une belle charge antimilitariste, ce qui n'est pas bien nouveau, mais qui arrive comme une belle grosse baffe puisqu'on ne s'y attardait jamais vraiment en se recentrant plutôt autour de notre petit groupe et de ses mésaventures allant plus vers le sens de la comédie que du drame. Je regrette simplement qu'au vu de la camaraderie ainsi formée au gré de situations plus ou moins insolites, mais surtout au prix de l'amour-propre des uns et des autres et de certaines prises de risque qui dénotent un humanisme fragile mais bien présent, on passe aussi vite à cette fin amère, atténuant du coup, à mon goût, l'émotion qui pouvait en ressortir. Mais à part cela (et pour le coup ce n'est qu'un demi défaut si on le met en balance avec l'intensité de la pique finale), j'ai découvert un sacré film, une solide proposition, qui partant de peu, nous offre beaucoup.

Arnaud_Mercadie
8
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le 13 mai 2017

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Dun

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