On le sait, les réalisateurs eux-mêmes l’affirment : il n’existe aujourd’hui plus de limite visuelle au cinéma. On ne parle d’ailleurs même plus d’effets spéciaux, expression qui fleure bon un temps perdu où les équipes travaillaient comme des artisans de l’illusion. Kubrick n’avait pas pu faire son A.I., Jodorowsky son Dune, et selon le storytelling actuel, Besson considérait comme trop ambitieux d’adapter l’univers de Christin et Mézières.
Jusqu’à aujourd’hui, donc.
Le défi se métamorphose : c’est l’écriture qui devient le terrain d’une véritable conquête. A l’heure où les franchises DC et Marvel trustent un format aux règles immuables, proposer un blockbuster avec une once de fraîcheur est devenu une gageure.
Valérian, la bande-dessinée, était la candidate idéale : un univers profus, de l’humour, et une inventivité folle soutenue par un esprit malin ayant oublié de trop se prendre au sérieux. Et puis Laureline, les amis. Je n’ai pas relu L’ambassadeur des ombres depuis, allez, trente ans, mais je me souviens parfaitement de Laureline.
Autant de défis imposés à l’homme qui a commis le plus grand navet de ces dernières années, à savoir Lucy.
Le bonhomme sait s’y prendre : son introduction sur le Space Oddity de Bowie est plutôt réussie (mais c’est vrai qu’on pourrait sublimer une séquence de téléachat avec cette musique) et le pari est la plupart du temps remporté sur le plan visuel. Les univers sont variés, l’esprit pop, gentiment vintage en dépit de la débauche numérique, l’animation est fluide, et la profondeur de champ profuse au point de le disputer de temps à autre à ce qui se passe au premier plan. Certes, l’éclectisme forcené apporte son lot de laideurs, comme ce club med utopique, sorte d’Avatar version beach, et Besson abuse un peu des mouvements inutiles, notamment dans sa façon incessante et souvent insensée de tourner autour de ses personnages pour dynamiser leurs échanges.
Mais la copie est propre et il était facile de faire bien plus laid ou poussif. La musique s’en charge un peu.
Le problème, c’est que le spectateur biberonné à la SF et aux jeux vidéo depuis ses origines aura du mal à définir la valeur visionnaire de cet univers. Presque tout semble avoir déjà été vu, et le spectre de Star Wars (surtout la prélogie, qui avait fait de la CGI son argument principal) rode en permanence, comme celui du 5ème élément, bien entendu, et des designs piochant à gauche à droite les costumes de tels jeux, les robots de tel autre.
Reste donc à donner chair à tout cet ensemble, une singularité à même de lui conférer le charme nécessaire.
Sur ce point, le parallèle avec la prélogie s’impose à nouveau. Valérian souffre terriblement de cette prééminence accordée à ses univers, au détriment de l’écriture de ses personnages. Les dialogues sont ineptes, l’humour à côté de la plaque, et le charme du duo peu efficace. Certes, Cara Delevigne tient sa revanche après l’affront que fut son rôle dans Suicide Squad, et la mignonne tient la route dans l’ensemble, mais à l’image des caméos inutiles (Herbie Hancock en hologrammes flous, merci d’être passé, Chabat dans un remake raté de l’univers de Caro & Jeunet), manque d’un réel charme. Bon, Rhianna en Arturo Brachetti porte-parole des migrants, c’était pas mal trouvé.
Valérian est une attraction du Futuroscope : les moyens sont là, mais c’est surtout eux qu’on montre, dans une intrigue correcte (au moins, on n’aborde pas la fin du monde, mais on aura tout de même droit à son compte à rebours avant explosion) mais résumée pour les décérébrés tous les quarts d’heure. Et la surenchère visuelle saborde la possibilité de l’émotion, parce que les morceaux de bravoure s’effacent les uns les autres sans jamais laisser le temps au cinéaste de partager avec son public une véritable fascination.
Finalement, sa (trop) longue séquence dans Big Market résume bien le film : aux consommateurs de chausser leur lunettes, le magicien s’occupe du shopping travel virtuel ; mieux vaut apprécier les façades des boutiques que les articles qu’elles contiennent.
(4.5/10)