Les sanglantes glorieuses
On sait depuis longtemps à quel point le film de genre investit le territoire de la contestation, et profite des détours fantasmagoriques pour évoquer les horreurs du réel. Zombie en est un illustre exemple, et ce dès ses premières minutes chaotiques, où l’on se préoccupe de rester à l’antenne alors que l’humanité n’a plus grand-chose à donner à voir, si ce n’est sa désorganisation et son chaos.
La créature du zombie a quelque chose de véritablement fascinant : figure passive, dont l’unique force est le nombre, dénuée d’intelligence et de parole, elle laisse entièrement la place à l’individu sain qui la combat ou se défend de son agression : et ce qu’elle révèle de lui sera la quintessence de l’humanité. De ce fait, Zombie est sans appel. Les premiers combats sont inter-humains, et le défouloir sur les infectés a tout du génocide. Dans des caves, ou autour du barbecue du dimanche, dans un bon esprit de chasseur yankee, la civilisation se défoule et semble jubiler de cet alibi planétaire donné à ses pulsions meurtrières.
Pour renforcer sa démonstration, Romero va convier tout son beau monde dans le Temple de l’Amérique, le centre commercial. Loin de véhiculer l’angoisse, l’apocalypse se transforme en terrain de jeu, et alimente le fantasme ultime du consommateur, celui de pouvoir se servir dans les rayons comme un buffet à volonté. Enfermés dans leur tour d’ivoire, les protagonistes commencent par l’épuration ethnique (car les zombies pullulent, rappelés par la force du souvenir à cet endroit qui était « important pour eux »), le nettoyage des corps vers les chambres froides pour s’adonner à leur passion : “Who the hell cares, let’s shop first !”
Cette vanité apocalyptique consistant à empocher de billets qui n’ont plus de valeur, ou à hurler sa victoire alors que la gangrène infectieuse fait son œuvre, voire tirer sur des mannequins, troisième figure de cette humanité sans chair, constitue la grande force de Zombie. Rageur, montrant plus d’empathie pour les monstres que les survivants, le film s’achève sur une apothéose, holocauste conviant zombies, motards et notre groupe de survivant à un festin protéiforme : chair humaine, têtes de monstres, mobiliers et biens de consommation, pillage à tous les étages, démembrements et massacre festif.
Le film a certes un peu vieilli dans ses effets, son maquillage sommaire et la lenteur un peu déconcertante de ses scènes d’action, mais là n’est pas vraiment la question. En isolant l’humanité à son crépuscule, Romero fait le procès sanglant d’une civilisation depuis longtemps zombifiée : "When there's no more room in hell, the dead will walk the Earth."