Avec À bras ouverts, le réalisateur (et en partie l'équipe et le casting) de Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu tentent de ré-éditer leur consternant exploit. Cette comédie avait obtenu un triomphe inattendu au box-office – ou plutôt, un succès disproportionné par rapport aux moyens engagés en son nom, mais largement compréhensible car cette chose avait toutes les raisons d'être extrêmement visible : acteurs 'numéros 1' quoique souvent blâmés sur internet, script dans l'air du temps, à la fois 'politiquement correct', familial et bien gras comme il se doit. Il nourrissait passivement des polémiques et griefs contradictoires empêchant un dénigrement cohérent et une 'critique' admissible par une majorité.
Des leçons semblent avoir tirées depuis, donnant un résultat bien plus honnête. À bras ouverts est dépourvu de propagande ; serait-elle devenue obsolète ? Au bon dieu offensait la gauche car elle voyait ses valeurs récupérées, tâchées par la beauferie ; là, nous trouvons un film joyeux, paresseux et lourdingue, 'stigmatisant' ouvertement. Il n'est dans le culte de l'intégration qu'au minimum – il reste compatible avec lui dans la mesure où il laisse aller. Dans les deux films on joue avec les clichés, mais ici la moralisation ne s'impose qu'à la fin. En chemin, lorsqu'elle surgit, c'est généralement pour ironiser. C'est sans profondeur mais au moins, ça connaît son niveau. Et ça tient les hommes pour les bouffons d'une galerie ; c'est donc une comédie bien crétine et capable du minimum de lucidité nécessaire à son efficacité – au même titre que n'importe quel artiste exalté doit être capable d'un iota de recul sur soi pour produire une œuvre significative.
Ici donc les hommes sont ridicules ou simplement triviaux, bas ou cyniques. Ils peuvent obéir à des archétypes que la réalité fournit au mépris de toutes les lectures idéologiques ; le majordome indien en couvre un, hostile par nature ; c'est un de ces étrangers 'absorbés' (dans ce cas, 'intégration' serait exagéré et 'assimilation' inapproprié) offusqué par la présence (concurrence?) de ces envahisseurs turbulents et pouilleux. Dans ses représentations le film est caricatural, mais il avance un point intéressant : ces gens, les Fougerole et leurs équivalents, ne se connaissent pas eux-mêmes. Ils se policent constamment, sans se soucier de l'intégrité en actes ; se trouvent des justifications lorsqu'ils commettent des fautes. Le mensonge ou la superficialité a gagné – chez eux comme tant d'autres, probablement ; seulement eux fondent leur légitimité professionnelle, mondaine et morale, sur le dépassement de soi affirmé et politisé. Ces faux-semblants ne trompent au fond qu'eux-mêmes ou ceux conditionnés pour s'en contenter.
Madame Fougerole (par Elsa Zylberstein) incarne une autre espèce dans cette famille des 'bien-pensants' ramenée à sa vraie nature – celle des 'parfumés' (ou aspirants) s'égarant dans la 'pensée' ; elle en incarne même deux. C'est d'abord la 'créative', avec des créations de femme bloquée à la petite adolescence qu'on aurait pas osé réveiller (car c'est attendrissant, bandant ou pas nécessaire). Fondamentalement c'est une 'fille de' typique, raffinée au premier abord mais assez vacante voire niaise, capricieuse et sans conscience, avec sa seule fragilité pour tout tempérer. C'est aussi un de ces êtres pathétiques toujours prêt à devenir hystérique ; cette Daphné revendique des droits ou libertés qu'elle s'octroie déjà et dont personne ne la défend, se montre prête à s'enthousiasmer bêtement devant la première chose inattendue (sa seule véritable sincérité est là) ; une femme brute, une femme à zéro, imbécile comme une petite fille gâtée qui se trouverait maintenant dans le costume d'une dame de valeur, toute propre comme celles qu'on a su préserver (jusqu'à être vierge de sentiments sombres ou trop odieux).
L'opposition n'est pas plus ragoutante – et s'avère tout aussi aimable, comme le sont dans des farces tous les gens engagés ou 'entiers' jusqu'à la bouffonnerie. L'adversaire du débat est un jeune loup bien lisse de droite – aux arguments qui tâchent (avec son best-seller Le Péril, « qui flatte les pires instincts de l'âme humaine »), donc à rebours de ce qu'on pourrait espérer d'un individu apparemment ambitieux et sur-adapté. Il incarne la nouvelle garde face à la génération post-68, dont Jean-Etienne Clavier-Fougerole est un représentant massivement embourgeoisé (et dont le nouveau livre ne perce pas malgré sa notoriété – À bras ouverts). Derrière ce clash de 'consciences' se trouve une opposition entre deux styles de nantis dépendants des plateaux télé, seuls endroits où ils peuvent faire illusion. C'est la 'gauche caviar' installée mais toujours immature face au 'jeune connard (attrape-)réac(s)'. On verra ce dernier entretenir sa santé avec son ami Timothée (dont les trois réactions n'indiquent pas une lumière). Ce qui pourrait apparaître comme un tacle au FN de Philippot (en 'montrant' contrairement à Chez nous qui se contente de suggérer) relève probablement davantage de la référence aux divers mouvements anti-immigration et anti-islam d'Europe, notamment du Nord – qui eux 'font' trop de droite pour se confondre immédiatement avec la bande du FN.
Pour autant ce débat est assez stupide. Par deux fois l'intervenant 'faf' se sent qualifié de « nazi », quand l'autre manque de répondant et laisse définir les termes et les règles du jeu. Le film pousse loin dans la caricature, avec un commencement de sérieux qu'il ne retrouvera jamais (ou pas sur une scène entière) ; le manque de naturel devient alors plombant. Le fils bien zélé (Lionel par Oscar Berthe) pourrait incarner la caution 'politiquement correct' (car on ne saurait se moquer totalement – règle respectée dans Au bon dieu), mais il n'imposera sa parole que pour la conclusion. Il y aura bien une poignée de minutes de 'réparations' pour clore cette affaire, mais entre-temps on a pas joué les équilibristes face aux coutumes grotesques et archaïques (rien n'est aussi grave que l'excision, adoptée dans Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu) : c'est inconvenant ou aberrant, voire un peu effrayant ; mais on accepte (ou endure) et s'aime tous et à la fin tout ira bien. Cette niaiserie-là était inévitable et se contente finalement d'une maigre victoire, le mariage débile et la liaison des cultures étant expédiés. Et lorsqu'aux deux-tiers du film il faut assimiler les roms, c'est assez folklorique et surtout cynique – même si la médiocrité générale interdit le franchissement de lignes rouges.
Pour le reste, À bras ouverts est à la hauteur de ses promesses. Ça devait être une connerie : on est servis ! La tiédeur hystérique et inclusive d'Au bon dieu n'est plus d'actualité ; cet alter-ego est outrancier, sa liberté compense le peu de génie. Les gags tarte-à-la-crème sont au rendez-vous, y compris ceux concernant les odeurs. Il y a même un trisomique de service, Crouch, bouffeur de taupes à ses heures ; les enfants pourront également élire le cochon Tupuk comme nouvelle mascotte. Le scénario est bancal à plusieurs endroits (le rétablissement de la vérité après l'affaire du marseillais est totalement éludé) et le casting inégal, mais Clavier compense ces faiblesses. Le costume taillé n'est pas parfaitement adapté à sa matrice de personnages mais il l'enfile avec bonheur – sa délectation manifeste est probablement responsable. Celui qui n'est pas offensé ou consterné pourra rire des stupidités osées, comme devant un nanar accompli ; qui se sait fiché d'avance et en déduit qu'il faut tout envoyer.
https://zogarok.wordpress.com/2017/08/07/a-bras-ouverts/