C'est un oiseau ? C'est un avion ? Non, CRS
ACAB est un acronyme signifiant All Cops Are Bastards, l'équivalent international du "CRS, SS" de nos parents soixante-huitards. Un slogan nous venant des skinheads anglais mais qui s'est diffusé aussi bien aux mouvements de gauche (la fameuse grêve des mineurs de 84) qu'aux détenus de sa majesté qui arborent la maxime sur leurs torses velus ou leurs biceps tendus. L'expression a voyagé et a été l'un des symbole du sommet du G8 de Gêne de 2001 où les militants alter-mondialistes ont été canalisés par les matraques et le sang. Le film de Stefano Sollima ne nous raconte pas cette histoire, mais celle qui se déroule juste après.
ACAB se concentre sur quatre policiers anti-émeutes, chacun avec sa petite histoire plus ou moins sordide, chacun avec sa petite humanité plus ou moins refoulée. S'ils sont tous intéressant à leur façon, la prestation magnétique et moustachue de Pierfrancesco Favino sort du lot. Les personnages sont profondément violents : dans leur travail, dans leur rapport aux autres, dans leurs opinions, dans leur façon de régler les problèmes. Des hommes au bord de la rupture, qui vivent sur le fil et qui trimballent sans cesse leurs fêlures avec eux. Car le film ne se contente pas de nous montrer des salauds, il nous emmène dans leur univers, dans les tourments, finalement d'une affreuse banalité, de ces hommes. "Celerino, figlio di puttana" s'amusent-ils à chanter, reprenant à leur compte le chant haineux des supporters. Vraie ironie ou simple résignation ?
Mais le personnage central d'ACAB n'est pas un policier, c'est l'Italie. Cette Italie Berlusconienne qui plonge la tête la première du haut de la falaise de la crise. L'extrême droite est partout, l'uniforme noir des Celerino et l'imagerie qu'il renvoie en pleine action en est l'expression la plus évidente. Un fascisme qui pousse comme du chiendent sur le terreau de la colère, de la frustration, de la pauvreté, de cette Italie fragile et malade. Il y a cette population qui cherche des réponses, il y a ces immigrés qui espèrent de jours meilleurs et au milieu il y a ces policiers anti-émeutes forcés d'être les ennemis de tous. Les mécanismes de la haine se mettent en place par la force des choses et ne font qu'engendrer plus de haine. Dans tout cette spirale délétère le réalisateur n'oublie jamais que derrière tout cela il y a des hommes et que rien n'est jamais simple. Une approche toute en nuance de gris qui peut déstabiliser, il n'y a aucune apologie mais il n'y a pas de condamnation ferme. Les personnages eux-même naviguent entre deux eaux, tantôt postures fascistes d'une folle brutalité, tantôt hommes de principes.... toujours pion d'un contexte qui broie les individus sans distinction de couleur ou de parti politique. Une fièvre constante et palpable grâce à la caméra maîtrisée de Sollima.
Faire le portrait des personnages détestés, et détestables, est un exercice périlleux mais avec cette première réalisation Stefano Sollima ( fils de Sergio Sollima et réalisateur de la série Romanzo Criminale) touche juste. Intelligent sans faire le malin, fiévreux sans être hystérique, violent sans être gratuit et surtout accablant sans être moralisateur. Au discours idéologique ACAB préfère le poing dans la tronche, du genre qui secoue et qui pousse à réfléchir.