Après La Tendre indifférence du monde, le cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov nous immerge avec A Dark, Dark Man dans un polar minimaliste et fiévreux.
Un policier corrompu qui doit noyer le dossier d’un infanticide (Bekzat), une journaliste qui veut comprendre et faire rejaillir la vérité du complot qui se trame, et deux innocents (au sens propre comme au figuré) dont la tête est mise à prix. A Dark, Dark Man ne révolutionne en rien le spectre du polar, ni dans la forme, ni dans le fond. Pourtant, tout ce que le cinéaste entreprend est d’une rare maîtrise. Il coche les cases du polar austère qui pourrait plaire aux aficionados de Melville ou de Refn (version Drive) : un acteur charismatique et taciturne, un environnement désolé et qui se veut être le premier témoin de la noirceur du monde qui tapisse chaque plan, une enquête plus nébuleuse que ténébreuse, des malfrats pervers sans aucune once d’empathie, un rythme lancinant, une écriture mutique s’évadant dans les espaces et la beauté de son cadre, puis une ambiance de western où les coups de feux se font aussi rares qu’impressionnants.
Oui, A Dark, Dark Man semble presque aussi lisible que fiévreux. Mais il y a un mais. Adilkhan Yerzhanov refuse de s’accoutumer aux habitudes et semble vouloir déjouer la solennité du genre dans lequel il s’engouffre pour y tirer sa part de mysticité et d’imprévu. Derrière son évocation d’un pays miné par la misère, la violence et la corruption locale, le film tente de joindre les deux bouts en utilisant l’innocence du rire burlesque (les frères Coen) et la tragédie d’une réalité dramatique. Ce burlesque de situation est froid et n’est pas utilisé comme moyen d’échange dans une volonté de faire naître une rupture de ton entre les scènes. Au contraire, extrêmement monolithique, le film puise dans cette ambivalence des scènes pour confronter le mal et le bien.
Cette combinaison, fine mais terriblement magnétique, fonctionne et se retrouve tout au long du film à l’image de ces deux séquences qui se suivent : après que Bekzat loin des regards scrupuleux ait étranglé à mort un autre homme qui jouait les mouchards, le candide prisonnier de Bekzat fait croire à ce dernier qu’il s’étouffe avec sa nourriture dans un drive-in. D’un côté, la mort se veut rêche et jonchée de sang, de l’autre, elle se veut être un jeu, une blague appartenant à la conscience, éloignée de toutes les turpitudes de la réalité malgré le regard larmoyant d’une journaliste qui comprend petit à petit ce qui se trame sous ses pieds. C’est aussi par ce sens du détail que le film exorcise ses influences parfois lourdes à porter.
Même lors du climax final, avant que le sang ne gicle sur les murs, le simple énoncé de la justice et du discours d’arrestation fait naître un fou rire généralisé chez les personnages. A Dark, dark Man est un film qui souhaite juste trouver la lumière, la rédemption dans un esprit meurtri par le destin et perdu dans une obscurité qui se nappe sous un drap. Dans une mise en scène horizontale et millimétrée où les steppes sont comme des tableaux révélant une poésie macabre assourdissante, le film puise sa force. Crépusculaire est un terme souvent galvaudé, à bon ou mauvais escient, mais le film du cinéaste l’est dans toutes ses largeurs. Une réussite indéniable.
Article original sur LeMagduciné