Un film bien difficile à juger que ce film noir venu tout droit des grands espaces kazakhs !
A Dark, Dark Man suit la tradition du film noir en y ajoutant quelques particularités. Un flic ripou, un système encore plus ripou, et les immensités du Kazakhstan : le décor est planté. La formule n'est absolument pas nouvelle : les films noirs ayant comme toile de fond la politique d'un pays corrompu sont légions. Un des premiers qui me vient est l'excellent Cairo Confidential de Tarik Saleh, ou même des films un peu différents comme Memories of Murder (avec lequel il partage d'autres similitudes). Le style de Yerzhanov, très épuré et centré sur les plans larges de paysages désolé, rappelle de son côté le style d'un cinéaste russe que j'apprécie beaucoup, Andrei Zviagintsev.
Le film suit l'histoire d'un anti-héros typique chargé de couvrir une sombre affaire de moeurs, jusqu'à ce qu'une journaliste un brin (mais vraiment un brin) cliché vienne compliquer sa mission.
Une des différences majeures qui le caractérise le reste du genre est la présence d'un humour noir absurde, extrêmement caustique et graphique. Et il faut l'avouer : très drôle. Le film est également très lent et contemplatif (ce qui ne me déplaît pas du tout), et sa réalisation très formelle épouse superbement les paysages splendides du Kazakhstan. Visuellement, c'est une réussite, même si on peut reprocher au film de ne pas être spécialement original dans sa mise en scène.
Mais je vais être très franc : après le visionnage, je me suis demandé si le film n'était pas une parodie. C'est bien simple : le film est incohérent de bout en bout. Le flic a un acting presque monolithique, se comporte comme une ordure pendant les 3/4 du film, et décide on ne sait comment de devenir un bon être humain après avoir vu au sol un exemplaire de l'esprit des lois de Montesquieu (sans déconner, c'est vraiment ça). Le traitement des personnages est absolument catastrophique à tous les niveaux, rien ne semble expliciter le revirement brutal de moralité chez le flic (qui a tué une personne de sang froid juste avant, rappelons-le), la journaliste est un cliché fade et insipide et ses relations avec le protagoniste ne sont pas assez développées pour justifier un revirement moral aussi brutal chez le flic qui passe d'un extrême à l'autre. On peut dire beaucoup avec peu de dialogues (Zviagintsev le fait admirablement) mais là, ça ne marche simplement pas. La scène de fin est nanardesque au possible, rien n'est cohérent dans cette scène de combat final où le nabab local reste figé comme un piquet pendant deux minutes pour qu'on lui tire dessus, pendant que son bras droit se casse en plein combat pour faire on ne sait quoi. Comme certaines scènes de combats sont ouvertement parodiques, c'est rapidement difficile de faire la différence entre ce qui est parodique et ce qui est simplement raté. J'ai également trouvé l'intrigue assez brouillonne, ça donne l'impression que le réalisateur voulait juste faire son spot de pub pour l'office de tourisme du Kazakhstan et filmer de jolis paysages, et qu'on lui a dit "non, fais un film noir plutôt". Libérez ce pauvre homme !
Certains dialogues ne révolutionnent pas le genre, c'est le moins qu'on puisse dire. On a quasiment tout ce qui est possible en terme de cliché : le ripou, le mafieux russe, le chef comiquement incompétent, la journaliste je-sais-tout qui découvre que dans certains pays les droits de l'homme c'est pas trop ça. Même l'attardé mental est assez topique. En terme de vraisemblance, de développement des personnages, de clarté de l'intrigue et même d'originalité sur le propos, je trouve tout simplement que le film est un ratage intégral. Je veux dire : oui, on sait bien que les gens qui font du mal ne sont pas tous des gens mauvais, mais sont parfois forcés par les circonstances et les problématiques locales en terme de corruption. Ce n'est plus une conception novatrice depuis longtemps et de nombreux films (meilleurs) traitent mieux le sujet. Les méditations sur le rôle de la loi sont plus poussées chez d'autres cinéastes et il ne suffit pas de namedrop Montesquieu pour faire de ce film de Yerzhanov quelque chose de profond alors qu'il ne fait qu'ébaucher le sujet sans le traiter.
Et pourtant... malgré ses défauts qui me sautent aux yeux, j'ai pris un grand plaisir à voir ce film. Déjà parce qu'il est drôle, souvent volontairement, parfois involontairement, et que dans un film aussi noir et nihiliste, ça fait du bien. Parce que je suis très sensible à ce genre de mise en scène, que la bande-son est très discrète mais superbe, que certains plans sont de beaux moments de cinéma. Notamment le plan qui termine le film.
Je ne peux pas considérer, à mon grand regret, A Dark, Dark Man comme étant un bon film. En revanche, je vous recommande de le voir, surtout si vous aimez le cinéma lent et contemplatif. Pour ma part, ça m'a donné envie de visionner d'autres films de Yerzhanov même si je n'ai pas été très convaincu cette fois-là. Les steppes kazakhes, ça vous change un homme !