Par sa brutalité inesthétique, Yu Ha dresse avec A dirty carnival une fresque criminelle réaliste qui prend aux tripes. D'une histoire classique narrant la montée des échelons d'un jeune lieutenant vers les hautes sphères de la criminalité il parvient à tirer l'essentiel, à savoir une histoire de personnage au rythme frénétique qui nous embarque pour une virée passionnante dans un univers poisseux où les contentieux se règlent à coup de canif.
Là où régulièrement dans les films de gangsters, coréens ou non, on se doit d'être attentif pour cerner tous les personnages jouant leur place sur l’échiquier, dans A dirty Carnival tout semble limpide. Yu Ha s'intéresse en effet à une seule bande de terreurs et plus spécifiquement à leur meneur, Byung Doo. Gravitent autour de lui peu d'autres âmes, sa famille ainsi que ses amis d'enfance dont son amour de jeunesse qu'il essaye de reconquérir. Ce petit monde étant vite cerné, Yu Ha peut développer ses thématiques sans perdre de temps à nous faire un cours scolaire sur le système mafieux coréen.
Découle de ce parti pris un réalisme âpre qui s'exprime autant pendant les affrontements sanglants auxquels se livrent les gangsters que dans leur relation avec ceux qui ne gravitent pas dans leur milieu "professionnel". Et c'est là que le choix de Yu Ha, de s'intéresser uniquement au sort de son protagoniste, permet à A dirty Carnival de monter en puissance. De cette relation fusionnelle mais faite d'incompréhension entre Byung Doo et sa famille à celle, plus ambiguë, qu'il a avec son meilleur ami cinéaste, Yu Ha parvient à retranscrire, sans jamais sortir les violons -ce qui est appréciable-, les tiraillements qui assaillent notre bandit en quête de pognon. Car finalement, Byung Doo recherche plus un moyen de subvenir aux besoins de sa famille qu'une reconnaissance de ses pairs, et c'est aussi de ce point de vue là que A dirty carnival se démarque des autres films du genre. On pourra d'ailleurs reprocher au réalisateur de marteler un peu trop ce message (on comprend dès le début, mais Yu Ha insiste tout au long du film, avec la soeur, le frère, la mère ...).
Bien sur, film de truands oblige, on s'attend à de la tatane. Dans a Dirty Carnival, les bastonnades ne sont pas forcément très nombreuses, mais elles sont si sèches et réalistes qu'elles s'imposent comme un moteur évident de l'intrigue. Avec Yu Ha, quand ça se met sur la tronche, c'est pas pour faire joli. Point donc de violence esthétique ici, seule l'efficacité est recherchée, et atteinte à chaque fois (pfiou la grosse stomb' dans la boue, grand moment). Y compris dans ce dénouement noir et violent qui nous laisse un peu sur le carreau, pas par surprise -on se doute de la façon dont va finir Byung Doo- mais par son côté clinique, brutal mais jamais visuellement flatteur. Comme si Yu Ha souhaitait coller au plus près à la réalité -pour peu qu'on puisse le faire dans un film bien entendu- en la rendant poisseuse à l'écran plutôt que poétique, comme cela pouvait être le cas dans le monstre visuel A bittersweet life.
A dirty carnival vient en effet se mesurer à ce maître étalon du genre sans broncher. La brutalité qui y règne, la puissance de son acteur vedette (quel rôle) conjugués à la belle aisance qu'a Yu Ha à caractériser ses personnages en font une oeuvre référence au même titre que le chef d'oeuvre de KJW.