A Man
6.6
A Man

Film de Kei Ishikawa (2022)

« Vous allez rencontrer un bel inconnu »

Rie (Sakura Andô) a beau être discrète, elle n’a pas de secrets apparents. Dès les premières images de A Man, on la voit pourtant ravaler ses larmes, quand un client entre dans la papeterie familiale. Ce client, c’est Daisuke (Masataka Kubota), avec qui elle partage rapidement son passé. Il a l’air d’en avoir, lui, des secrets : les habitants de Miyazaki ne parlent que de lui et de ses silences depuis son arrivée en ville.


Au fil des visites à la papeterie, Daisuke et Rie font connaissance. Comme une première déclaration d’affection, il lui dévoile ses dessins, à l’origine de ses allées et venues au magasin. Leurs contours flous laissent déjà augurer d’une difficulté à s’affirmer, à poser des bases claires. Ils deviennent tout de même amis, et amoureux. Ils se marient, ils sont heureux. Puis, comme un éclair dans un ciel bleu, Daisuke meurt, écrasé par un arbre.


Lors des obsèques, son frère, avec qui il était en froid, ne reconnaît pas l’homme dont la photographie trône sur l’autel. Ce n’est pas Daisuke, il en est sûr. Mais alors qui est cet homme auprès de qui Rie a été heureuse ? C’est Kido, son avocat d’origine coréenne, qui va tenter de démêler le mystère qu’on dirait être celui du sourire de la Joconde, dans une deuxième partie où tensions et suspense prennent le pas sur le drame. Le scénario n’est pas celui de la double vie : Rie et Kido font face à un doute bien plus vertigineux. Qui était cet époux, celui qu’on ne peut plus appeler Daisuke ? Et s’il n’est pas Daisuke, comment faire son deuil ? La vie que Daisuke a passée aux côtés de Rie et son fils est-elle devenue un leurre ?


Le point de départ mystérieux du film sert de prétexte à Kei Ishikawa pour peindre un monde où chacun joue un rôle, avec ses faux-semblants et ses chausse-trappes. Découvrir la véritable identité de « Monsieur X » est une quête qui en dit parfois plus des vivants que des morts. Parce que des identités, chacun d’entre nous en a plusieurs, sans qu’elles soient forcément des masques. Dans le couple, au travail, avec la famille, en société, on est toujours le Monsieur X de quelqu’un. Avec A Man, Kei Ishikawa a le don d’entremêler l’intime et le social, le dedans et le dehors, l’omote et l’ura. Il y a les tensions croissantes de la société japonaise, de plus en plus hostile à la « menace migratoire ». Il y a le système carcéral mis à nu, et un monde du dehors, finalement imperméable à l’humanité profonde. Il y a les grandes villes et leurs visages changeants, un urbanisme qui semble désormais parler une langue étrangère…


Présenté en compétition à la Biennale de Venise 2022, A Man est à l’image de « La reproduction interdite », l’envoûtant tableau de René Magritte qui ouvre le film et représente un homme de dos, face à un miroir ne reflétant pas son visage. Jeux d’ombre et de lumière, intensité des gros plans, contrastes et folles perspectives… L’identité s’y réfracte, se dérobe, se dévoile.


Avec un sens aigu de l’observation et une capacité à mettre en place des situations et des personnages complexes, voire contradictoires, sur lesquels il se garde bien de porter un jugement, Kei Ishikawa parvient ainsi à donner une portée métaphysique à l’investigation de son héros Kido, interprété par l’impénétrable Satoshi Tsumabuki découvert dans The Housewife et La Famille Asada. Et c’est peut-être la parole d’un suspect qui renverra le mieux Kido à son propre désarroi, et ébranlera définitivement ses certitudes : « Vous ne comprenez vraiment rien à rien, Maître ». Au fond, que sait-on de nous-mêmes et des autres ?

John_May
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le 6 juin 2023

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John May

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