L'insupportable berezina de Cerda
Le passage au long-métrage pour Nacho Cerda, auteur de la curieuse et fascinante Trilogie de la Mort, était l’occasion de concrétiser un univers, des obsessions, un style précis. Il est venu briser l’aura de cet artiste tout en participant à saborder les espoirs autour de la vague fantastique espagnole des années 2000, dont l’hégémonie touchait alors à sa fin (2006-2007). Avec Abandonnée, Cerda promet une sorte de voyage « antérieur » et s’y tient : une femme découvre les images mentales enfouies, les scènes originelles, explorant les degrés de son existence et de sa conception. Le cadre est envoûtant, rêvé dans son registre (glauque, pictural et ténébreux) ; le reste manque de goût et de force. Le pitsch-minimal s’érode rapidement (un vague complot et une identité volage), le scénario est nul, la bande-son envahissante. C’est un The Cell amorphe et péremptoire, un Silent Hill agité et encore plus autiste.
Cerda veut en faire une balade pleine de créatures ou de lieux fantasmatiques. Il accumule les effets clippesques sans grâce, les séquences d’errance confinant à l’inertie pure, mais rien n’y fait. En vérité, Abandonnée se définit paradoxalement par un refus d’intégrer toute dimension abstraite ou irrationnelle, à la faveur de la figuration outrée, parfois stylée, toujours confuse. Le film est froid et interminable, sa description d’un Enfer est terne et sans imagination, malgré le déversement de bizarreries poussives et empruntées (au zombie comme au ghost-movie, dont tous les catalogues sont épuisés).
Résultat : Abandonnée est extrêmement noir, mais inconsistant, tant humainement, esthétiquement que sur le terrain des frissons ou de l’initiative. On étouffe mais sans rien ressentir ni admirer, sinon le vaste gâchis d’un univers au fort potentiel, au moins graphique. C’est effectivement une sorte d’horreur extatique : on est tétanisé, plombé par un programme aussi lourd, fonctionnel, catégorique. Il accable le spectateur ou l’amène à décrocher (la diversion se fera par la léthargie plutôt que par l’humour, le film irrite passablement mais ne trouble jamais).
Il faut en retenir l’exploitation stylée de concepts alambiqués lors d’un dernier quart-d’heure cauchemardesque, transmettant parfaitement la sensation d’évaporation de l’héroïne, spectatrice de sa propre décomposition. Cette performance isolée (pourtant en pleine cohérence graphique avec ce qui a précédé) achève le film sur une contradiction interne criante et rappelle la singularité de Cerda ; pour cet opus, il est trop tard, mais gageons que ce n’est qu’une sorte de panne industrielle. Tout au moins, ça le deviendra dans les livres spécialisés si son Yo soy legion voit le jour.
http://zogarok.wordpress.com/2012/10/26/seances-express-6/