En Suisse, au bord d’un lac. Le chien qui furette à droite à gauche, le vieux et sa canne, une après-midi comme tant d’autres, la petite balade digestive.
« L’avantage, quand on est un génie comme moi, c’est que tout fait sens. Je suis parvenu à un tel degré de talent, mon univers est si profondément singulier que je n’ai plus aucune barrière.
J’ai ma DV, je la laisse allumée. Roxy renifle une merde, tiens, je vais mettre un début de Beethoven là-dessus.
C’est bien, le caca, d’ailleurs. Il faudra lui donner sa juste place. Avec le son. C’est aussi ça, un génie, il ose. C’est quand même assez audacieux, les ploufs du caca qui tombe dans les toilettes lors d’une discussion dans un couple. Encore une scène qui restera dans les annales.
Et un bateau.
Et des femmes à poil.
Et Hitler, aussi. Pour les images d’archive.
Et du sang dans une baignoire.
Et puis comme je suis un esthète, je vais un peu changer la molette, là, sur la saturation des couleurs. Ah oui, l’herbe est plus verte, tiens.
Et puis comme je suis un érudit, je vais mettre des citations. Mais comme je suis un véritable érudit, je ne vais pas dire de qui sait. Les intellos vont adorer reconnaitre, petit esprit de communauté : Antigone d’Anouilh dans les champs, François Villon sous la douche, Monnet, tout ça. Et je filme aussi des films en noir et blanc sur mon téléviseur.
Et puis l’écriture à l’écran, ça, c’est attendu. C’est ma patte. Adieu au langage, La Nature, La Métaphore, des chapitres dans le désordre. Les Cahiers parleront de montage parcellaire, les Inrocks de mashup. Les Cahiers parleront de l’intertextualité, les Inrocks de la 3D et du numérique.
Roxy, reviens par là, on va faire un film. On ira pas à Cannes, parce qu’on est pas comme ça. Cannes viendra à nous. Tu verras qu’ils vont te trouver un prix. »
Le chien s’en contre branle.
Le vent souffle sur l’herbe verte. De petites vaguelettes irisent le lac.
C’est très beau.
« Elégiaque », dira la presse.