(Première séance - 13h45 - Salle remplie)
Ce n'est pas tant une critique qu'un constat. Le constat que Godard ne cesse de se jouer de nous, de ses pairs, de la profession*.
Ça n'aurait été Godard qu'on aurait parlé de film expérimental, d'essai cinématographique. Ou mais voilà Godard n'en est plus à son coup d'essai. Ça fait plus de 60 ans qu'il s'essaye au cinéma, qu'il adapte les techniques, les cadres, le jeu, la lumière, le son. Le voilà aujourd'hui s'essayant à la 3D seul, se débrouillant par lui même comme ces enfants jouant aux dés sans avoir de règles.
Et voilà qu'il continue de détruire l'académisme de l'image, du son jusqu'à provoquer la gêne du spectateur. Mais on lui pardonne. Tel les chiens dont il parle tout le long du film qu'il caractérise comme les "seuls êtres sur Terre qui vous aime plus qu'ils ne s'aiment eux- même", on reviendra sans cesse vers Godard. Qu'il le veuille ou non il détonne, suscite l'intérêt et pousse à l'interprétation.
Quand bien même on ne garde que des artefacts d'information informelle nous revenant par vagues (pas la nouvelle, elle est morte et enterrée) ; des images saturées, qu'elles soient d'archive, de GoPro, de son Leica..., des sons stridents, sourds, murmurés, hurlés ou même des scènes invraissemblables sur le trône ou sous la douche d'une puissance rare ; des messages nous reviennent sans cesse : "On va bientôt tous avoir besoin d'interprêtes, ne serait-ce que pour se comprendre soi-même." nous dit-il en substance dans le film à deux reprises. Et c'est vrai qu'à trop chercher un sens, on se perd soi-même dans un raisonnement absurde.
"Les mots, je ne veux plus (en) entendre parler"
Ce film n'est pas pédagogue, il ne nous apprend rien. Il déconstruit l'idée que nous avions du message, du sens des mots ne serait-ce que dans son titre avec lequel il joue d'un point de vue technique (3D enchevêtré) et orthographique (AH-dieux / OH langage). Il déconstruit l'image en jouant encore avec sa 3D en superposant un plan pour chaque oeil, en jouant sur les contrastes et la saturation des images sombres. Et pour finir il déconstruit sa propre narration en superposant les pistes sons, tantôt répétant la même chose en canon, tantôt en additionnant des monologues avec des théories sociétales, provoquant un vacarme inintelligible dont seule le spectre global nous parvient. "Je ne dirai presque rien, je cherche la pauvreté dans le langage."
A 83 ans Godard continue d'étonner, de déranger et de faire fantasmer tout ceux qui, sous réserve de se laisser entraîner dans un univers ou le sens ne régit pas le monde, disent adieu au langage.
"-Où allez-vous? -Là où il faut."
*http://www.festival-cannes.com/fr/mediaPlayer/14236.html