[Critique garantie sans spoilers]


Pas plus tard que lors du déconfinement qui signifiait pour nous un retour tant attendu dans les salles de cinéma et la perspective de découvrir enfin des nouveautés, BFM TV faisait un reportage sur ces cinéphiles qui se sont rendus dans les salles obscures dès les premiers jours. A la fin de la courte séquence filmée par ses journalistes, leurs homologues en plateau se sont littéralement moqués d’eux, car ces personnes passionnées du septième art, et donc tout à fait respectables, ont commis l'ignominie de choisir comme premier film post-confinement une avant-première coréenne. Magnéto Serge :


https://twitter.com/J_Lachasse/status/1274939522468413441


Retranscription totalement objective du dialogue :


« C’était un peu pointu… un film coréen, Lucky Strike de Yonghoon Kim.
- Ohohohohoh… Ahah… Ohohohoh.
- Tu l’as vu bien sûr ? Ohohohoh...ahah.
- Hmm… non, je préfère Parasite.
- Ohohooh… ahah. »


Passons la stupidité de cette séquence qui ne surprendra personne puisqu’elle symbolise à elle seule la décadence de nos chaînes de télévision dont BFM TV est la meilleure représentante, car ce n’est pas le propos. Ce qui est plus intéressant, ce sont les réactions que ces images ont généré chez le Twitter cinéphile, qui s’est littéralement enflammé, comme à son habitude.


Et parmi celles-ci, une personne que je ne mentionnerai pas a cru bien faire en voulant défendre le cinéma coréen par une contre-attaque envers le cinéma français. En effet, comment la Nation qui a enfanté la daube Alad’2 peut-elle se permettre de critiquer ce merveilleux pays qu’est la Corée ?


Cette personne n’a jamais dû voir un film d’Albert Dupontel. Car si la Corée produit beaucoup de chefs d’oeuvre, la France se défend très bien également. Actuellement, s’il y a bien un excellent représentant de la très bonne santé du cinéma français, l’ancien comique reconverti cinéaste peut lever la main sans aucun souci.


Il faut dire que le bougre était attendu au tournant après son génial Au revoir là-haut. On peut désormais affirmer qu’il a réussi à faire quasiment aussi bien.


Au-delà de sa capacité à réunir un casting à la hauteur des enjeux (lui-même, Virginie Efira, Nicolas Marié et quelques caméos qui font très plaisir) et à manier la caméra sans grande difficulté, c’est surtout un homme qui en a sous le capot pour raconter des histoires des plus originales et inventives, avec une bonne dose d’absurde dedans.


En prenant appui sur ce qu’on sait des maux de notre société actuelle (l’écrasante et étouffante bureaucratie et son mille-feuille administratif, les licenciements abusifs, les produits polluants qu’on continue à nous vendre, la place des handicapés dans notre société), Albert Dupontel convoque des personnages hauts en couleur (une femme au bord de la mort qui souhaite retrouver son fils qui a été placé sous X à la naissance, un fonctionnaire dépressif suite à son départ forcé de la direction des systèmes d’information d’un ministère, un aveugle planqué aux archives) pour leur faire vivre une aventure des plus rocambolesques à la recherche de ce fameux enfant abandonné.
Vous vous en doutez, ce parcours sera semé d’embûches et donnera lieu à des scènes extrêmement cocasses, saugrenues et particulièrement drôles, cette équipe de bras cassés ayant le don de se mettre dans le pétrin. Si les dieux existaient, on pourrait dire qu'il ne les ont pas épargné, ces êtres dotés d'un capital sympathie assez incroyable. C'est finalement le reflet de l'époque injuste dans laquelle on vit.


Mais si le long-métrage se limitait au genre de la comédie, il trouverait vite ses limites. En réalité, Albert Dupontel n’hésite pas à aller chercher d’autres émotions chez son spectateur, confirmant le tournant pris par son précédent film. Sans en faire trop, il arrive même à lui donner la larme à l’oeil à quelques moments-clé du film. En effet, partant d’une situation initiale particulièrement tendue et triste, les sentiments mélancoliques finissent par nous gagner au fur et à mesure du déroulé du récit, qui malgré quelques facilités scénaristiques et un mélange des genres parfois déroutant et limitant forcément l’émotion, réussit son final de la plus belle des manières.


On est vraiment dans l’exemple typique de la comédie dramatique qui ne prend jamais son spectateur pour un idiot (con, devrais-je dire). Des raccourcis, il y en a forcément dans un film aussi court (environ 1h30), mais ils sont facilement explicables et justifiables. On est en présence d’une œuvre sincère, faite avec le coeur. Albert Dupontel ne cherche pas à en faire une œuvre politique, il reste assez en surface dans la dénonciation des problèmes inhérents à notre monde actuel. Au contraire, il se sert de ce qui est dans l’ère du temps (le big data et le hacking, l’individualisme qui ronge nos sociétés et plus globalement un capitalisme qui grignote tout sur son passage, y compris la fonction publique) pour créer des protagonistes vraiment attachants qui sont forcément inadaptés au monde de cons dans lequel on vit. On peut finalement tous se voir en eux, et c’est par cet aspect que l’empathie du spectateur est maximisée.


En plus de cela, le long-métrage passe à une vitesse folle, son montage final étant épuré du superflu pour nous servir un récit dynamique, prenant, qui nous fait presque regretter une fin aussi vite expédiée.


A noter que la photographie d’Alexis Kavyrchine est d’une splendeur assez inégalée dans le cinéma français, elle réussit à accroître l’émotion suscitée par certaines scènes, rien que par la beauté des plans nocturnes que le chef-opérateur d’Adieu les cons réussit à sublimer. Chose que réussit un peu moins à faire la musique, la partition étant de qualité mais assez oubliable.


Alors, oui madame, les Coréens peuvent se targuer d’avoir enfanté Parasite, Mademoiselle et sans doute l’un des meilleurs cinémas du monde. Mais nous, Français, nous n’avons certainement pas à rougir face à eux. Pour rien au monde, je ne leur échangerais mon Albert Dupontel. Ce Monsieur, s’il vous plait, on le garde !

Albiche

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