Le dernier film d’Albert Dupontel, Adieu les cons, sorti le 21 octobre au cinéma, est une comédie surprenante tant par son point de vue critique sur la société actuelle que par les choix esthétiques audacieux du réalisateur.
Virginie Efira est Suze Trappet, une mère qui a dû abandonner son enfant au moment de son adolescence et qui, à 43 ans, est gravement malade. Le réalisateur-scénariste-acteur Albert Dupontel joue le rôle de Jean-Baptiste Cuchas un fonctionnaire bosseur qui se voit mis sur le banc de touche par son patron de façon injuste. Les deux personnages principaux se rencontrent grâce à une suite de péripéties qui les amène dans les archives tenues par M. Blin, un aveugle victime de la police. Les trois personnages partent alors dans une quête quelque peu loufoque pour retrouver l’enfant de Suze.
Le scenario en lui-même n’est pas l’atout du film et certaines scènes ne sont pas franchement des réussites. L’utilisation d’un procédé très cliché de narration quand Suze tombe contre l’armoire à livre et en ramassant les livres elle trouve comme par hasard LE document dont elle avait besoin, ou encore le travelling avant sur le personnage du médecin qui est censé être un moment émouvant mais qui est ridicule, enfin, la légitimation du comportement douteux du fils biologique de Suze envers la femme qu’il aime (il la suit, s’installe près de chez elle, lui envoie des lettres anonymes etc.) constitue aussi une maladresse un petit peu dérangeante. Néanmoins, ces erreurs ne dominent pas le film et ne gênent pas l’appréciation du reste du film surtout lorsque l’on se penche sur le fond du film et sur ce qu’il critique avec justesse. Les héros du film sont les ratés de la vie réelle, ce sont ceux qui sont broyés par la machine destructrice qu’est la société contemporaine. Les trois sont morts à cause de leur travail : Cuchas et son suicide raté, Suze et sa maladie de travail et M. Blin mort socialement depuis qu’il a perdu la vue en faisant son travail. Les trois sont oubliés du monde, même leur médecin ou leur patron n’arrive pas à retenir leur nom telle est leur insignifiance. Dans ce monde uniformisé où les marginaux ne trouvent pas leur place le film en fait exister trois. Tout cela est subtilement illustré à deux moments par la mise en scène d’ascenseur qui font écho à la notion sociologique d’ascenseur social.
A cela s‘ajoute un réquisitoire presque permanent contre la police. Le film s’ouvre et se clôture par une critique de la police et le personnage de M. Blin en est le porte-parole, c’est lui qui la résume le mieux : « J’ai pris un coup violent, ça fait mal, je saigne et je ne suis pas à la police ? C’est bizarre quand même ». Les policiers sont ridicules tout au long du film, violents, aboient comme des chiens. Ils sont le bras armé de cette société de l’uniformisation écrasante.
En plus de critiques subtilement menées, le réalisateur porte une attention particulière à l’image qui est très appréciable et donne une autre dimension au film. Dupontel use d’objets du quotidien pour filmer ses acteurs, et lui-même. Pour montrer que Suze est malade, on la voit dans le reflet de la poubelle qui est remplie de mouchoirs ensanglantés. La caméra traverse les miroirs et les scanners pour capter les émotions des acteurs. Dans une scène d’enfermement, Dupontel utilise le reflet des vitres pour avoir le champ et le contre-champ dans la même image. C’est le reflet du pare-brise de la voiture de Suze qui nous montre à quel point la ville s’est transformée pour coller à l’idéal uniformisé de la société contemporaine. Les choix des travellings horizontaux et verticaux participent aussi à la beauté et à la justesse du film.
Dans son dernier film, Albert Dupontel dénonce une société uniformisée à travers des métaphores et un développement de ces personnages principaux plein de sensibilité et de justesse. Dupontel met sa caméra au service de son de son propos et ses choix esthétiques audacieux donnent une comédie française qui rayonne parmi la médiocrité des autres films du même genre à l’affiche.