Pendant une ou deux minutes, le doute est permis. On pourrait (presque) dans la grisaille des images initiales, le passage de tous les checkpoints, les miltaires en armes, se croire du côté de l’Espion qui venait du froid, puis, pendant les plans suivants, grilles, métro, noir et blanc en couleurs, pas si loin du Troisième homme.
Mais non. Dès que l’action se met en branle, dès la première poursuite, très longue, traitée en mode chorégraphique approximatif, en auto, à pieds, sur les toits, en camion … on a compris – on est chez Guy Ritchie. Et s’accumulent alors, bien plus que le rappel de la série culte des années 60 (avec son idée originale de l’alliance malmenée entre l’agent du KGB et celui de la CIA en pleine guerre froide), toutes les références au genre, aux parodies du genre et aux parodies des parodies. Et pas seulement dans les thèmes et le cadre - le monde à sauver, le savant enlevé, l’ogive nucléaire à récupérer, le compte à rebours, le duo très contrasté de héros (devenu ici trio, avec l’adjonction d’une équipière au personnage plutôt bien composé), les poursuites interminables (qui constituent l’essentiel de l’action), la scène de torture avec ancien nazi, la méchante de service … La seule hésitation pourrait porter sur le côté vraiment parodique de l’affaire : Guy Ritchie se prendrait-il au sérieux, en s’engageant, à la suite de ses Sherlock Holmes, dans une relecture des genres populaires du cinéma ?
Non – on est bien dans la parodie, au-delà de James Bond, quand précisément l’accumulation des références et des citations , parfois détournées, signifient bien qu’on ne vise que plaisir immédiat, action et humour. Et de façon très soignée, chic, glamour, vintage : avec une BO très enlevée (Daniel Pemberton), des décors et des costumes parfaitement années 60 … Mais là encore, Guy Ritchie donne dans l’accumulation – avec des figures répétées et répétées, plan d’une ou deux secondes maximum, éreintants, panoramiques systématiquement filés, nombreux recours (assez heureux certes, très sixties) au split screen, flashbacks assez originaux, puisqu’ils renvoient toujours aux séquences, voire aux instants qui précèdent, mais là encore usés par la répétition.
Et les rebondissements, les twists, se succèdent, se multiplient, jusqu’à saturation.
Tout en fait a déjà été vu, ici ou là, l’accumulation seule faisant à présent figure d’originalité. Le choix même des comédiens est révélateur – acteurs commençant à être connus (pas forcément reconnus) mais pas têtes d’affiche, mais là encore, pas un choix si novateur, on est toujours dans la référence, et dans les modèles évidents ; Henry Cavill, Superman, sans grand charisme, lorgne ici du côté de Pierce Brosnan ; Arnie Hammer, pour l’espion russe, en géant aux yeux clairs, façon Mathias Schoenaerts, l’acteur au regard de husky, ou Nicolas Coster-Waldau ou bien d’autres ; Alicia Vikander en réincarnation de Holly Hunter …
Ces agents au bout du compte ne sont pas si spéciaux.
Le meilleur du film tient dans les décalages, souvent ponctuels, qui signifient clairement qu’on est dans le troisième degré : dans l’art d’escamoter des éléments du scénario qui semblaient essentiels (la fin du savant, à peine avait-il été retrouvé), dans la façon de détourner les moments les plus « sérieux » (la fin « aléatoire » de la scène de torture), dans la manière de dénouer l’action (en deux coups de téléphone, un pour localiser, un pour exploser !) ou à travers des contrastes constituant des parodies immédiates – l’affrontement idéologique et très physique entre les deux agents prolongé par la querelle idéologique et vestimentaire sur la tenue de leur compagne, et sur la compatibilité entre Dior et Paco Rabanne …
Il y avait là signes et matière pour un cinéma ludique, gratuitement léger, jubilatoire peut-être– mais on se perd dans l’accumulation. La multiplication des poursuites, des twists, des figures de style répétées, et fatigantes … tout cela finit malheureusement par tourner à un déjà vu assez pesant.