R.I.P. (Resnais In Peace)
Bien sûr qu’Aimer, Boire Et Chanter a un semblant de déjà vu, qu’il apparait très proche du diptyque de Resnais : Smoking/No Smoking. Mais malgré tout, quel bonheur de voir ce cinéaste au seuil de la mort être capable de proposer quelque chose d’aussi enlevé et rafraichissant et surtout, de savoir faire encore preuve à 92 ans, d’autant de créativité et d’inventivité. Ce film ne restera pas son chef-d’œuvre, il souffre de bon nombre de longueurs, mais il ne sent pas la naphtaline comme ont pu le proposer quelques réalisateurs âgés par le passé, lorsqu’ils tenaient à proposer des thèmes « de leur âge », de grands développements philosophiques qui, au lieu de faire aimer le film, donnaient juste envie d’aller se pendre.
La ressemblance avec Smoking/No Smoking donc, se retrouve dès l’affiche, dessinée comme avaient pu l’être celles de ses deux illustres prédécesseurs. La mise en scène également, théâtrale au possible, puisque le film est intégralement tourné en intérieur, poussant le rapprochement avec le 6ème Art jusqu’à placer systématiquement des rideaux en fond de scène. On retrouve également un découpage clair et net en scènes, les transitions étant marquées par de très beaux dessins de Blutch (Le Pacha, Lune l’Envers), certes un peu répétitifs, mais permettant d’identifier rapidement le lieu où l’action va prendre place. Donc oui, Aimer, Boire Et Chanter reprend l’univers et peut-être une partie du visuel de Smoking/No Smoking et, même si ça n’excuse pas tout, c’est quelque chose d’assez naturel puisque ces trois films sont des adaptations de pièces, britanniques de surcroit.
Alain Resnais, probablement vieux et fatigué, devait retrouver une certaine jeunesse dès qu’il filmait, en témoigne cette capacité qu’il a eu à retranscrire l’humour tout britannique de cette pièce vaudeville, pleine de fraicheur et de ressorts amoureux qui se croisent et des ressorts qui se croisent, c’est presque impossible à dénouer. Il a su éviter l’écueil des Herbes Folles, qui l’avait ramené dans les travers de la Nouvelle Vague et de ses bavardages inutiles et pompeux, Aimer, Boire Et Chanter est une pièce très drôle que Resnais sait très bien rendre. Ici, il met son talent au service de son film, on sent l’artisan qui maitrise jusqu’à la part de hasard de tout travail de création. Sans dire que chaque pot de fleur a un sens, on sent qu’il maitrise chaque éclairage, positionnement des acteurs, couleur dans le décor. Il n’en devient pas poseur pour autant, il est simplement un artiste au travail et la propriété première de l’artiste, c’est justement la création.
Au casting, on retrouve l’inoxydable Sabine Azéma, muse éternelle de son réalisateur de mari, égale à elle-même et toujours parfaite dans son rôle de farfadet au regard aussi pétillant qu’une bulle de champagne. Dans les acteurs fidèles, il y a toujours Dussolier peu présent à l’écran mais qui marque toujours la pellicule d’un charisme affolant, même s’il semble ici plus âgé que son rôle. Michel Vuillermoz, avec cette troublante voix de Pierre Arditi, semble ici remplir le vide laissé par l’acteur, ce qu’il fait fort bien. Autre acteur important : la musique, celle de Mark Snow, le même qui composa le légendaire thème d’X-Files, livre ici une partition légère et faisant penser à ces boites à musique où tourne une danseuse dès qu’on les ouvre. Une musique totalement au service et en accord avec cette ambiance voulue par Resnais.
Finalement, c’est sûr le prix Alfred Bauer reçu par le film à Berlin qu’on pourra douter, puisque sans être mauvais, Aimer, Boire Et Chanter ne mérite pas pour autant de récompenses. Il s’agit surement là d’un prix d’estime, une sorte de César d’Honneur qu’on a voulu donner à un grand monsieur en sachant qu’il n’en avait plus pour très longtemps. Il aura tout de même achevé sa carrière sur un film de gamin, sur une fraicheur retrouvée dans la dernière ligne droite, le film d’un adolescent qui n’a eu d’autre préoccupation que les filles, les soirées arrosées et faire la fête, ce qui rappelle étrangement le titre du film.
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