La mort d’un enfant fait partie de ces sujets si délicats qu’en traiter revient à entreprendre l’ascension d’une planche savonneuse : à tout moment, on prend le risque de déraper. Felix van Groeningen, à qui l’on doit le déjà très réussi La Merditude des choses, sait parler d’émotions, aussi exacerbées soient-elles, et c’est avec confiance qu’on peut le suivre sur ce thème.
Deux partis pris permettent d’accéder, par circonlocutions, à la béance fondamentale qu’est celle du deuil : d’abord, la musique, qui permet la rencontre et surtout, le partage d’émotions que les être sont trop brisés pour pouvoir formuler de manière sereine. Ode au bluegrass, le film évoque une communauté qu’on pourrait avoir tendance à considérer avec une certaine commisération, fans d’une Amérique fantasmée, dans un folklore pour le moins saugrenu dans cette Belgique perdue. Pourtant, le cinéaste parvient à restituer toute la beauté de cette musique, la solidarité d’un groupe et la pureté d’un folk qui chante bien plus les tourments de l’âme que la fascination pour un folklore ; mais il n’est pas non plus question de l’idéaliser et de céder à la facilité du lyrisme : l’impossible réunion sur scène des amants brisés en témoigne avec une grande justesse, dans une des plus belles séquences du film.
L’autre angle d’attaque est celui de la temporalité : plutôt que d’opter pour un récit linéaire, le cinéaste choisit un montage fragmentaire qui va opérer de multiples sauts dans le temps. La pertinence est double : c’est d’abord une forme de pudeur qui permet des ellipses et évite la montée pathétique vers le pire, mais aussi une appréhension subtile du tragique : le spectateur sait, lors des retours en arrière, ce à quoi ne sont pas préparés les jeunes amants et les futurs parents. La variation dans la photographie (mordorée dans les premiers temps et les concerts, laiteuse et blafarde dans le deuil), le jeu absolument impeccable des interprètes ajoutent à cette immersion dans le drame familial : Alabama Monroe est une réussite.
…à quelques exceptions près.
Sur ce fil ténu de la tragédie intime, Felix van Groeningen veut greffer d’autres ressorts qui ne sont pas toujours habiles. L’évocation de la foi, par exemple, pouvait se limiter à la belle métaphore sur les oiseaux percutant les parois vitrées sans dériver vers le discours excessif lors du concert, doublé des archives sur W. Bush et la recherche sur les cellules souches. De la même manière, répéter la mort de la fille par le suicide de la mère peut sembler redondant, et l’enclave fantastico-mystique de l’apparition spectrale est un peu maladroite dans un récit qui avait su rester sobre et presque naturaliste jusqu’alors.
Il n’empêche : Alabama Monroe déjoue tout de même la plupart des pièges que tendait son sujet. Histoire d’amour habitée, évocation sensible de la musique, il confirme van Groeningen comme un cinéaste à suivre de près pour la suite de sa carrière.