Imaginez-vous regarder le monde de 2019 à travers les yeux d'un enfant qui chercherait à y déceler des lueurs d'espoir pour son avenir... À moins d'adopter un régime alimentaire composé exclusivement d'antidépresseurs, le simple fait d'envisager cette mise en situation suffirait à plonger n'importe quel adulte dans un état de profonde dépression. Alors que dire du jeune Alex ? Dans un pays qui n'a plus d'uni que son nom (aussi bien intérieurement que dans la perspective plus large du Brexit), ce petit anglais va au collège chaque matin en croisant les unes apocalyptiques des kiosques à journaux et un nombre toujours plus exponentiel de SDF à chaque coin de rue. Face à un monde adulte qui a instauré l'égoïsme et l'avidité comme principaux moteurs de réussite, son futur ne paraît se dessiner que dans la noirceur et la peur de l'insignifiance. Devant en plus gérer une absence paternelle pesante et un duo de petites brutes s'en prenant quotidiennement à son meilleur ami, Alex se contente d'une existence a minima, obligé d'entrer dans le moule uniforme de codes sociétaux en contradiction avec les valeurs bien plus pures et nobles qu'on lui a inculqué dans sa jeunesse à travers les récits légendaires des Chevaliers de la Table Ronde.
Puis, un jour, le petit garçon retire par hasard une vieille épée d'un rocher sur un chantier et sa vie bascule. Comme vous l'avez compris, la découverte d'Excalibur révèle à Alex sa destinée de prochain Roi Arthur en lui dévoilant un monde ancien peuplé de chevaliers, de dragons et, surtout, d'une fée Morgane prête à prendre sa revanche en utilisant les ténèbres dans lequelles s'est enfermée toute seule l'humanité. Avec l'aide d'un Merlin pour qui le terme de grippe aviaire prend tout son sens, Alex devra rallier ses amis chevaliers et unifier à nouveau son royaume pour combattre les projets malfaisants de la créature et de son armée de soldats morts-vivants...
Après le très prometteur "Attack the Block" qui voyait une bande de jeunes anglais affronter des babouins aliens dans une banlieue défavorisée, Joe Cornish n'avait bizarrement plus donné de signes de vie à part quelques collaborations scénaristiques sur le "Tintin" de Spielberg et "Ant-Man" avec son pote Edgar Wright. Le revoilà donc huit ans plus tard, toujours ancré dans les yeux de la jeunesse de son pays à qui il offre à nouveau un sorte de cadre de production Amblin 2.0 pour s'exprimer et le bonhomme n'a rien perdu de sa belle énergie, surtout qu'il accompagne ici sa relecture moderne des mythes de la Table Ronde d'une charge politique tenant plutôt bien la route. En effet, devant l'obscurité d'une société (et des gouvernements qui la représentent) poussant tous les curseurs d'un indovidualisme exacerbé, le retour vers d'anciennes valeurs plus saines sur lequelles s'est fondée son identité nous est présenté ici comme un outil viable pour combattre ce qu'elle est devenue. Grâce à la magie et la noblesse de la chevalerie, le petit Alex va chercher à convaincre ses compagnons de route que la notion d'un collectif unifié par delà tout ce qu'un système a défini comme une différence est la seule solution pour enfin se diriger vers des horizons plus éclairés.
Évidemment, tout cela est en filigrane au cours de ce long-métrage qui raconte avant tout l'épopée de ces nouveaux petits Chevaliers de la Table Ronde mais la force de ce discours est toujours présente, entretenue par des allusions ou des paroles symboliques plus ou moins directes et donnant une épaisseur insoupçonnée à ce "Alex, le destin d'un roi".
Pour le reste, la première heure du film est d'une efficacité redoutable entre la révélation arthurienne d'Alex, l'arrivée tonitruante de Merlin à notre époque sous les traits d'un adolescent (et également d'une sympathique guest-star lorsqu'il prend son apparence vieillissante, les amateurs du "Excalibur" de Boorman apprécieront le clin d'oeil) et la formation non sans heurts du quatuor de héros composé de quatre personnalités attachantes amenées à se compléter. En allant même jusqu'à faire littéralement disparaître les adultes lorsque les sbires de Morgane apparaissent comme pour mieux les associer à la menace, Joe Cornish prouve qu'il n'a rien perdu de sa fougue d'artisan amoureux des productions Ambin dont il s'amuse à revisiter les codes de manière jouissive.
Mais, arrivé à mi-parcours, "Alex, le destin d'un roi" va se mettre à patiner à cause d'un étrange choix de construction qui va le desservir pendant un petit moment. L'aspect drame familial entourant le petit héros n'est pas des plus originaux et Joe Cornish va d'abord s'y attarder pour s'en servir comme d'une nouvelle épreuve permettant de faire avancer Alex. On est plutôt content de voir disparaître un des points les plus faibles de cette histoire mais le film va curieusement y revenir en choisissant de diviser son grand affrontement en deux rounds. Le premier va être mou du genou, offrant en plus des effets spéciaux faiblards (aïe, Morgane... et pourquoi la transformer si vite avec une actrice de la trempe de Rebecca Fergurson, la pauvre n'aura jamais vraiment de matériel lui permettant de s'exprimer dans le rôle) et ne va finalement servir qu'à résoudre gentiment un pendant du conflit familial évoqué plus tôt. À ce moment, "Alex, le destin d'un roi" est en train de retomber comme un soufflé maléfique brisant lui aussi nos espérances naïves devant la pauvreté de la bataille proposée. Mais ce roublard de Joe Cornish va expirer soudain de toutes ses forces et regonfler, voire carrément exploser ce soufflé avec la deuxième partie de ce combat nous offrant enfin le spectacle promis dans des proportions d'une telle générosité qu'il va dépasser nos attentes, on rêverait même d'avoir la chance de découvrir cette bataille avec nos yeux d'enfants, ces derniers vont incontestablement se régaler avec ce morceau de bravoure qui ne peut que nourrir leur imaginaire.
Bref, à part un bon coup de mou en milieu de course à cause de sa construction discutable, "Arthur, le destin de roi" confirme le talent de Joe Cornish pour le divertissement réveillant toutes les âmes de (grands) enfants. En plus d'être assorti d'un sous-texte politique loin d'être bête quant aux espoirs à donner à la jeunesse d'un pays morcelé par certains diktats, le film revisite la mythologie arthurienne en parvenant à en exalter l'esprit épique que de multiples adaptations plus ou moins inspirées sur le sujet avaient usé jusqu'à en tarir la magie. Et, pour tout cela, on ne peut que souhaiter une longue vie au roi Cornish !