L'art Délicat de la Digression

Six ans après un premier spectacle sobrement appelé Alex Lutz , le comédien et humoriste revenait sur scène aux Folies Bergères pour un nouveau seul en scène qui tient une nouvelle fois plus de la performance théâtrale que du basique one man show.

Pourtant ce nouveau spectacle contient ce qui fait le socle de l'immense majorité des one man show avec des sketchs, des personnages, une certaine résonnance avec l'actualité et cette façon de s'adresser directement au public comme dans le stand up . Mais Alex Lutz n'est pas tout à fait comme tout le monde à l'image de son entrée en scène et de ce spectacle qui n'aura de cesse de sembler glisser, tomber, s'échapper et revenir au grès de multiples digressions dans lesquels exploseront les talents d'écritures et d'acteur de Alex Lutz.

Alex Lutz est insaisissable et son spectacle l'est tout autant pouvant partir dans une folie pure autour d'une randonnée en Quechua, dans une incroyable comédie gestuelle avec la main en guise d'attribut masculin, dans une caricature hilarante des hommes primitifs découvrant le premier rire avant de revenir vers une forme plus posée de tendresse, de poésie du hasard, de nostalgie d'un amour passé et de rêves de révoltes libertaires perdus et de mélancolie. Alex Lutz multiplie les personnages avec une aisance déconcertante allant de l'homme préhistorique à l'employée de bureau sur des ski nautiques en passant par une vieille dame handicapée ou un gros beauf en slip douteux. Alex Lutz joue absolument tout et en plus il se paye le luxe de tout jouer parfaitement bien avec en plus un formidable langage corporel capable de faire vivre immédiatement et de donner du corps et de la matière à ses personnages au delà du verbe et du jeu. La performance d'acteur d'Alex Lutz est vraiment extraordinaire et assez peu de comédiens humoristes me semblent capable de tenir sur tout un spectacle autant d'énergie et de multiples caractères et personnages comme une douce schizophrénie permanente. Et puis surtout Alex Lutz n'est jamais moqueur avec ses personnages , bien au contraire on sent toujours chez lui une pointe de tendresse y compris lorsqu'il croque la douce médiocrité dont nous sommes tous capable. J'ai trouvé magnifique le moment durant lequel Alex Lutz se glisse avec une infinie délicatesse dans la peau de cette vieille handicapée dame accrochée à un réverbère qui raconte sa triste vie de malheurs avec ce bonheur infini de simplement pouvoir la partager . Il y-a presque tout Alex Lutz dans cette instant, cette capacité de caméléon à nous faire croire à un personnage, ce jeu d'acteur à la fois brut et subtil, cette férocité d'humour teinté de douceur et surtout cette tendresse à écouter vivre, au plaisir de raconter, de se raconter en s'accrochant à celles et ceux qui tendent encore si poliment l'oreille. Alex Lutz est un funambule et son spectacle peut être tout à la fois hilarant, drôle, tendre, poétique, engagé mais sans la moindre brutal rupture de ton, car tout chez Alex Lutz se fait avec douceur et naturel et un texte drôle et rythmé devient soudain comme une incroyable et plus posée déclamation poétique. D'un moment de pur folie burlesque autour d'un sexe pendouillant Alex Lutz glisse ensuite vers une superbe déclaration à l'amour universelle et nous spectateurs on passe d'un grand rire, à un sourire puis une larme.

Le spectacle se termine sur une magnifique chanson d'Anne Sylvestre qui nous a quitté il y-a quelques jours et dont les mots ne peuvent que faire un écho brûlant à tout ce fracas d'émotion contradictoires mais pétris d'humanité que Alex Lutz vient de nous faire vivre :

J'aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J'aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
J'aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger
J'aime les gens qui passent moitié dans leurs godasses et moitié à côté
J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons
J'aime ceux qui paniquent, ceux qui sont pas logiques, enfin, pas "comme il faut"
Ceux qui, avec leurs chaînes pour pas que ça nous gêne font un bruit de grelot
Ceux qui n'auront pas honte de n'être au bout du compte que des ratés du cœur
Pour n'avoir pas su dire "délivrez-nous du pire et gardez le meilleur"
J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons
J'aime les gens qui n'osent s'approprier les choses, encore moins les gens
Ceux qui veulent bien n'être, qu'une simple fenêtre pour les yeux des enfants
Ceux qui sans oriflamme et daltoniens de l'âme ignorent les couleurs
Ceux qui sont assez poires pour que jamais l'histoire leur rende les honneurs
J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons
J'aime les gens qui doutent mais voudraient qu'on leur foute la paix de temps en temps
Et qu'on ne les malmène jamais quand ils promènent leurs automnes au printemps
Qu'on leur dise que l'âme fait de plus belles flammes que tous ces tristes culs
Et qu'on les remercie qu'on leur dise, on leur crie "merci d'avoir vécu!"
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu'elles ont pu