Philip Glass s’engouffre dans le terrier du lapin blanc d’Alice

Je suis rentré dans le terrier du lapin blanc d'Alice aux pays des merveilles comme le ballet commandé par l’Opéra national du Rhin nous y emmène, à savoir à travers la musique et les mélodies au piano de Philip Glass. Peu connu du très grand public mais encensé par les mélomanes, Glass a participé à la création et à la sacralisation de la musique qu'il se plaît à définir comme répétitive, et que certains classent comme minimaliste.


Amir Hosseinpour, l'un des deux chorégraphes d'Alice avec Jonathan Lunn, a su dès qu'il a entendu la mélodie composée par Glass qu'il s'agissait là d’une composition pour Alice aux pays des merveilles et que ces sonorités symbolisaient le passage de la petite fille avec lapin blanc dans le terrier. Et c'est là toute la beauté de ce ballet, le piano qui nous envoûte et nous attendrit, capture non seulement physiquement Alice dans le terrier, mais aussi le public. On pénètre à la fois dans le monde d'Alice et dans celui de Philip Glass.


Mais il n'est pas chose aisée que de faire une nouvelle œuvre autour de l’univers de Lewis Carroll. Amir Hosseinpour avait déjà chorégraphié deux opéras de Philip Glass, Akhnaten (ancienne orthographe qu'utilise Philip Glass pour parler du pharaon Akhenaton) et The Lost. Si l'œuvre actuelle est sobrement intitulée Alice, c’est pour apporter un regard non pas directement sur la Alice de Alice aux pays des merveilles, mais sur Alice Liddell, l'une des trois filles d'un des amis de Lewis Carroll, celle qui inspira la désormais célèbre Alice des romans.


Petite fille devenue adulte, approchant de la fin de sa vie, Alice est interprétée par différentes danseuses tout au long de son existence, et la plus âgée par l'actrice Sunnyi Melles. On se retrouve à revivre avec elle ses souvenirs imaginés de sa plus tendre enfance, à ses derniers jours. Plus de cent cinquante ans après l'écriture d'Alice aux pays des merveilles, on apprend à découvrir par ce ballet qui était Lewis Carroll. Professeur de maths, ancien bègue, obnubilé par la photographie, amateur de marionnettes, tous ces éléments connectés avec le monde d'Alice, se mélangent et se défont au rythme de l'avancée de l'œuvre, des mélodies émouvantes de Philip Glass et des chorégraphies pour lesquelles on se demande comment une telle symbiose entre ces deux univers peut être si forte et poétique.


En 150 ans depuis la parution du livre, bien des choses ont changé. De l'ère victorienne, on est passé à la très longue ère élisabéthaine. Alors forcément, la reine de cœur d'Alice a elle aussi évolué en une reine bien connue de toutes et tous, et a ramené ses inséparables corgis mises en scènes en vidéo par David Haneke, dont on se demande si ces chiens qui semblent toujours joyeux nous observent ou s'ils surveillent leur reine. Réinterprétation contemporaine d’Alice, la reine d’Angleterre n’est pas la seule excursion dans notre époque, on y retrouve aussi des écoliers tout droit sortis de Poudlard, de l’humour digne des Monty Python, ou encore un chapelier fou drag queen dont le genre de l'interprète (danseur ou danseuse) varie selon les représentations.


Une immense nostalgie nous envahit quand deux des danseurs se mettent à filmer leurs chorégraphies pendant que la reine est en train de rêver. Bien qu’aucune caméra n’est sur scène, on observe en projection sur une toile à l'arrière-plan une vidéo filmée à l’identique en répétition. Comme l’impression d’être plongé de nouveau dans une faille temporelle. Quel moment vivons-nous ? Celui du spectacle ? Celui des répétitions ? Celui de Lewis Carroll qui s'essayait à la photo ? Une chose est sûre, le moment que l'on vit est unique.


Si l’ensemble de l'œuvre est presque exclusivement instrumentale, on ne cache pas notre plaisir à entendre Sunnyi Melles interpréter dans une aria le poème Quadrille des homards de Lewis Carroll. La frontière entre Alice et Lewis Carroll est définitivement enterrée. Si Alice Liddell et Lewis Carroll se confondent volontairement tout au long de l'opéra, l'actrice jouant Alice est aussi celle qui interprète Lewis Carroll, une chose est sûre, je ne pourrais plus jamais dissocier ces mélodies de Philip Glass des chorégraphies si émouvantes de Jonathan Lunn et Amir Hosseinpour.

Lennepkade
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le 23 juil. 2024

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