Asperge le mytho
Le dédale nous égare : Ridley Scott, en retournant à ses premiers amours, ne nous en facilite pas nécessairement l’accès : retour du monstre, suite de son prequel, quête des origines, récit fondateur...
le 12 mai 2017
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Ayant lu ici ou là qu'Alien : Covenant relevait d'un processus d'auto-destruction, je m'attendais à ce que le mythe soit quelque peu malmené. En fait, le visionnage du film m'a surtout donné l'impression que le réalisateur britannique, dans son désir de joindre les deux bouts (du début - Alien 1978 et de la fin Prometheus 2012), s'était efforcé de rendre tout ça cohérent du point de vue de la saga mais en s'asseyant sur ce qui fait la force d'un film : des personnages convaincants et un scénario qui tienne la route.
Une des qualités du premier Alien tenait dans le fait qu'on cernait très rapidement le tempérament ou la nature des membres de l'équipage, à coups de petites répliques et surtout en les voyant à l’œuvre, en comprenant qui ils étaient. Une poignée de seconds rôles qui s'appuyait sur une figure forte incarnée par Sigourney Weaver. Cette fois-ci, on a le sentiment que Scott veut nous forcer la main en nous rendant témoin des tourments de deux de ses personnages pensant ainsi que par empathie nous allons nous attacher à eux. Et ainsi de Daniels et de Orham qu'on voit tout tristes d'avoir perdu, l'une puis l'autre, leur compagnon/compagne. C'est triste certes mais ça ne nous les rend pas proches pour autant ! C'est là une profonde erreur qui dénote d'une méconnaissance de la psychologie des personnages de la part de Scott comme nombre de réalisateurs. Ce qui nous rend proche d'un personnage ce n'est pas de le voir triste mais c'est de comprendre qui il est, ce qu'il fait et quelles sont ses interactions avec les autres personnages. Une des très grandes faiblesses d'Alien : Covenant, ce sont clairement ses personnages : ils n'ont ni consistance, ni profondeur. Même ceux de Life : origine inconnue sont plus intéressants. Et par conséquent, on ne ressent que peu d'émotions lorsque les membres de l'équipage disparaissent. C'est le paradoxe : les morts sont éminemment plus affreuses ici que dans le premier Alien mais aucune ne nous affecte vraiment : ni peur, ni empathie pour les victimes. Comme si nous étions nous même spectateur réduit à l'insensibilité de David/Walter.
Ensuite, il y a des incohérences dans le comportement de ces personnages. D'emblée, Ridley Scott passe une demi heure à nous montrer que nous avons affaire à un équipage de scientifiques rompus à toutes épreuves. Une vraie surprise par conséquent de constater avec quelle légèreté ils entreprennent leur première sortie sur ce qui n'est quand même pas moins qu'une planète inconnue. Seraient-ils suicidaires ? On est en droit de se poser la question car voudraient-ils tous y passer qu'ils ne s'y prendraient pas autrement ! N'importe quelle personne un tant soit peu curieuse de sciences sans même se prévaloir de longues études d'ingénieur ou de biologiste sait qu'un écosystème planétaire recèle une multitude de micro--organismes (microbes, virus, spores, parasites) potentiellement dangereux pour tout être vivant a fortiori quand celui-ci n'a pas eu le temps d'organiser ses défenses comme c'est le cas en temps normal. Quoi qu'il en soit, un minimum de masques, de gants et de mesures prophylactiques sembleraient s'imposer. Mais non... Du coup, voir tous ces soi-disant explorateurs scientifiques débarquer la bouche en cœur dans ce paysage étranger n’entraine qu'une seule réaction : ces cons-là vont se faire in-fec-ter ! CQDAA (ce qui devait arriver arriva). Sans compter que la faune locale - en dehors du virus pathogène introduit - aurait tout aussi bien pu être inamicale comme du reste ce fut le cas sur terre pendant...quelques dizaines de millions d'années !
Autre comportement hautement improbable, celui des pilotes restés dans la navette d'atterrissage. En deux temps trois mouvements, voilà qu'ils réussissent primo à : laisser entrer dans le vaisseau un agent infectieux particulièrement virulent (quid des mesures de sauvegarde ?), deuxio à y enfermer avec la créature une pauvre biologiste qui n'en demandait pas tant , tertio à faire exploser leur vaisseau à la faveur de dérapages non contrôlés et de tirs particulièrement mal ajustés ! A ce stade on devrait être consterné par le sort de ces pauvres humains, on est juste consterné par leur balourdise. Tout cela parait absurde, sauf bien entendu si l'on considère que du point de vue du scenario c'est bien pratique que l'équipage se retrouve ainsi piégé sans possibilité de revenir au vaisseau-mère : CQDAA !
Continuons : ayant conscience du pouvoir de nuisance de l'agent pathogène et de la férocité des aliens qui fréquentent le coin, il semble tout à fait imprudent voire inconscient pour les survivants de ne pas prendre davantage de précautions lorsqu'ils se retrouvent dans la nécropole. Et évidemment voici qu' un alien-croquemitaine pointe son museau dans le secteur et à la suite d'une petite grimpette nocturne accède tout simplement à l'endroit où une des exploratrices fait tranquillement sa toilette. M'est avis que si j'avais survécu aux scènes d'horreur qui avaient précédé, j'aurais pris quelques garanties pour m'assurer de ne pas me retrouver nez-à-nez avec une de ces sales bestioles. Mais bon, sans doute fallait-il pour le scénario qu'une de ces créatures pénètre la retraite des survivants. CQDAA.
Enfin, ces deux secondes où Walter hésite à achever David semblent abusées... Mais que voulez-vous, il faut bien que Walter laisser la place à David afin que le twist final puisse avoir lieu (on y reviendra). CQDAA.
Enfin il y a le dernier ratage du film, celui-de la créature elle-même. C'est triste à dire mais on a clairement le sentiment qu'elle embarrasse Ridley Scott. L'Alien fantastique et mystérieux du premier épisode n'est plus réduit ici qu'à une sorte de singularité xénobiotique qui sert de prétexte à nous intéresser au vrai sujet du film ou plutôt aux vrais sujets : les deux androïdes. C'est d'ailleurs dans cette partie centrale du film, que David apporte enfin une dimension psychologique intéressante qui manquait jusqu'à présent aux autres personnages et qui n'est pas sans rappeler certaines grandes figures mythomaniaques du cinéma : Mabuse, Frankenstein, Hal ou encore Zaroff. Ce passage central fait du bien après trois quarts d'heure d'exposition qui ne servent à rien et avant une dernière demi heure qui finit en grand n'importe nawak et se conclut par un vrai faux twist inutile.
(David ayant de toute façon les œufs d'alien, rien ne l'empêchait de liquider les deux dernier humains avant de prendre la direction d'Origae-6).
Bien sûr, on peut trouver intéressante cette situation en miroir dans laquelle le démiurge David procède avec ses petites créatures alien comme Ridley Scott avec sa propre invention cinématographique mais le fait est qu'à l'issue de cet ultime (?) épisode, la créature flippante d'il y a 40 ans est devenue un rien triviale. Elle ne me fera faire aucun cauchemar cette nuit. Et je trouve ça dommage.
Personnages : 2/10
Interprétation : 6/10 (un bon Fassbender, une très moyenne K. Waterson)
Histoire/scénario : 3/10
Mise en scène/réalisation : 8/10
5/10
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Créée
le 7 janv. 2024
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