Asperge le mytho
Le dédale nous égare : Ridley Scott, en retournant à ses premiers amours, ne nous en facilite pas nécessairement l’accès : retour du monstre, suite de son prequel, quête des origines, récit fondateur...
le 12 mai 2017
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Après l’immense déception que fut Prometheus par les mains-mêmes de celui qui avait créé le mythe xénomorphe, sa suite directe assume désormais dans son titre l’appartenance à la saga Alien même si on lui demande d’abord et avant tout d’en être à la hauteur Ridley Scott rempile donc avec Alien Covenant, conforté par le très grand succès commercial de Prometheus, et j’ai été assez naïf pour croire que le réalisateur allait apprendre de ses erreurs pour nous livrer un peu mieux. Je me suis trompé et nous allons voir ça plus en détails dans cette critique à quel point le film est une honte absolue et s’il parvient à accomplir l’exploit de faire pire que son grand frère.
Bon, on va commencer par ce qui est réussi, ça ira vite. Il y a quelques fusils de tchékov simples mais efficaces, comme le véhicule utilisé à la fin du film qui est rapidement présenté au début lors de la tournée d’inspection par Daniels. On retrouve une thématique forte pour un film de science-fiction avec le fait de créer dans un but esthétique plutôt que fonctionnel comme critère pour passer à l’état de civilisation, maladroitement utilisée bien sûr mais existante. Les personnages de David et de Walter sont très intéressants sur le papier et plutôt bien interprétés par Michael Fassbender même si c’est terriblement sous-exploité. Maintenant qu’on a fait le tour des points positifs, rentrons dans le détail.
Tout d’abord le film trébuche dès ses premiers éléments perturbateurs en apportant des explications scientifiques complètement incohérentes pour expliquer que d’une part le vaisseau s’arrête et d’autre part qu’il capte un signal vers une planète étrangère. Il fait donc moins bien et de façon plus laborieuse ce qu’Alien faisait parfaitement en moins de temps. Ce n’est pas grand-chose mais ça a le mérite d’être annonciateur du désastre imminent. Ah et bien sûr le film s’ouvre encore une fois sur autre chose qu’un vaisseau dans l’espace, au moins c’est raccord avec Prometheus. On a aussi une longue phase avant que l’action ne démarre pour instaurer les personnages mais il y en a tellement qu’ils sont trop peu développés pour que je m’y attache et beaucoup de répliques sont en plus mal écrites avec des blagues de gros beaufs sorties de nul part.
Si l’on accélère un petit peu et qu’on reprend les interactions entre David et Walter, il y avait un petit potentiel mais il est totalement gâché et amène plein de problèmes majeurs. L’idée de la rencontre entre un androïde livré à lui-même depuis des années, sans aucune directive à suivre, et un androïde dans son état de servitude dont il n’a jamais pu s’extirper peut amener à de très bonnes thématiques. Se respectant et se méfiant mutuellement, on aurait pu avoir une bonne gestion du suspense à leur sujet. Là ça reste en surface et ça ne développe pas grand-chose, voire ça tourne rapidement au ridicule, dans les répliques comme dans le visuel. Mais pour parler des vrais problèmes de cette sous-intrigue ni faite, ni à faire, je vais devoir spoiler :
Si l’on considère que la saga devait aller dans cette direction, je pense que les motivations de David auraient dû être plus cohérentes. Il n’aurait vu dans les Hommes que le mauvais ou la faiblesse dans Prometheus et ce Covenant, en serait venu à la conclusion que nous ne méritons pas notre place dans l’univers et aurait donc mis en place son plan pour développer la race des Aliens. Une race qu’il entendrait meilleure car débarrassée des émotions, des intérêts personnels... qu’il jugerait par rapport à ce qu’il a pu voir des humains. Là j’ai l’impression qu’il veut juste jouer à l’apprenti sorcier à son tour, parce qu’il n’a pas besoin de mettre en place un tel plan pour s’émanciper de sa condition de machine servile et qu’il a aussi vu du bon dans l’Homme qu’il choisit d’ignorer sans raison apparente.
De toute façon, son écriture dans Prometheus ne préparait pas suffisamment le terrain pour en faire un personnage pivot de cette intrigue, ça sent plutôt la succession de réécritures d’un film à un autre sans qu’un vrai fil rouge ait été travaillé du début à la fin pour garantir une certaine cohérence. Ce qui ne pourrait être excusé en sachant que Ridley Scott avait une liberté créative très forte sur les 2 films. De plus, accorder autant de place dans l’intrigue à un Android dans un film intitulé Alien, c’est aller un peu à l’encontre du sujet. Et puis ça signifie quand même que la rencontre avec une forme de vie extra-terrestre ouvrant la voie à d’autres perspectives étrangères à l’humanité se rétrécit puisque cette forme de vie s’avère la création indirecte de l’Homme. Bref, absolument rien ne va.
Si l’Alien en lui-même est davantage mis en avant dans le récit que dans Prometheus, je trouve qu’il y a un affaiblissement du mythe par l’explication de ses origines un peu bancales, et c’est plus grave que dans Prometheus qui restait un peu éloigné de la saga d’une certaine manière là où ce Covenant se vend comme en faisant pleinement partie. Là il devient presque un slasher pour des personnages attardés et souvent filmé en plan large, donc pas si impressionnant que ça en dehors du fait qu’il est véloce, on est très loin de la machine à tuer quasi-increvable du premier Alien dont chaque apparition marque à vie.
Quid de la reine dans cette explication des origines ? Parce que la reine pond des œufs, les œufs éclosent à l’approche d’un hôte potentiel pour libérer un facehugger, du contact prolongé entre le facehugger et son hôte né un alien qui obéit à sa reine. Le schéma est plutôt clair, expliquer les premiers facehuggers et les premiers Aliens sans faire mention de la reine c’est oublier un point essentiel de la question. Même si on part du principe que seul le huitième passager est pris en compte dans la timeline il y a des incohérences, comme la forme de l’Alien à sa naissance qui est différente alors que là c’est censé être la même espèce ou l’Androïde Walter qui dispose de fonctionnalités plus avancées que Ash dans Alien qui devrait pourtant être supérieur. Et si on oublie toute la saga et qu’on regarde juste le film lui-même, pourquoi deux contaminations identiques en début de film donnent 2 façons différentes pour l’Alien de sortir du corps ?
Si le film se rate complétement comme préquel d’Alien, il arrive aussi à se rater complètement comme suite de Prometheus, la place des ingénieurs dans le récit est trop vite évacuée vu le build up du précédent film sur la question et la tentative d’explications de ses nombreuses incohérences avec la diversité des résultats du liquide noir est très faiblarde. Soit dit en passant, dans un film qui brandit de hautes références artistiques ou historiques pour se donner des airs, c’est très malvenu d’être aussi brouillon qu’une série Z pour expliquer les éléments centraux de ton récit. Seule l’introduction du personnage de David dans le précédent film compte un peu pour bien saisir celui-ci. Qui était Elizabeth Shaw, quelle était la mission du Prometheus… sont des questions sans importance dans ce récit en réalité. Cette médiocrité repousse constamment les limites du possible ! Bon arrêtons de nous acharner là-dessus et essayons de voir si on peut pas se consoler en s’attardant sur la forme.
Avec un budget d’une centaine de millions, même si c’est une légère réduction par rapport à Prometheus on peut là encore attendre beaucoup mais entre le niveau qu’il faut atteindre pour faire oublier les erreurs monumentales du scénario et la qualité finale très moyenne de Prometheus sur sa réalisation et son esthétisme, pas vraiment de quoi y croire. Au moins, l’image est parfaitement nette, il y de temps en temps de très jolies lumières transperçant l’obscurité… et on oublie en toute logique la mode éphémère de la 3D de l’époque de Prometheus, jusque-là rien d’anormal. C’est même satisfaisant, j’ai presque envie de m’arrêter-là.
Mais je vais même aller jusqu’à trouver encore un point positif, il y a pas mal de clins d’œil de mise en scène assez subtils à la saga : la forêt artificielle à l’arrière-plan du personnage féminin principal qui vient d’apprendre la mort d’un proche à la manière d’Aliens, le labyrinthe de sas pour piéger le xénomorphe à la manière d’Alien 3… et si certains crieront au manque d’inspiration, je trouve que ça reste à sa place de clin d’œil et que c’est plutôt bien fait, donc pas de soucis personnels à ce sujet. Mais j’ai bien peur d’avoir quasiment fait le tour du positif qui pouvait en être dit alors retournons en enfer si vous le voulez bien.
Explorer une planète inédite n’offre malheureusement que très peu d’environnements travaillés et marquants, comme si le film avait un budget très limité. Pourtant, une promesse de la bande-annonce était une première phase d’émerveillement lors de la découverte d’un environnement aux allures de paradis, complètement oublié dans cette version finale bien terne et bâclée. Et ce ne sont pas les intérieurs qui corrigeront le souci, souvent très sombres et peu imaginatifs par rapport aux standards de la franchise, ou encore le seul design inédit d’une créature extraterrestre avec le neomorph franchement ridicule. Quelques plans sur le vaisseau Covenant ou la planète des ingénieurs seront à sauver mais c’est tout de même bien léger. Un autre problème du film, une fois resitué dans sa saga, c’est qu’il n’est ni un bon film d’horreur, ni un bon film d’action, il est mauvais dans les deux registres alors qu’il fut un temps où la saga était une référence, dans l’un ou dans l’autre.
Le pire c’est la stupidité des personnages qui les tue plutôt que leur peur, c’est un festival d’absurdités : se balader dans un environnement extra-terrestre jamais identifié sans aucune protection contre des maladies pouvant se propager de mille et une façons, faire tomber un fusil à pompe en glissant sur une tâche de sang bien visible et se tirer en quatrième vitesse sans le ramasser au passage, se croire à l’abri juste parce qu’un inconnu leur dit que c’est bon alors qu’aucun système de défense ou de barrière d’apparence infranchissable n’est visible, suivre un mec visiblement très louche dans un endroit sombre sans même le garder en joug ou se méfier de ses consignes alors qu’on vient de la voir amical avec une créature venant de massacrer un humain... ça ne s’arrête jamais. Si on garde ça, ça ne peut fonctionner que dans une parodie humoristique qui s’assume comme tel mais le film se prend tellement au sérieux que ça ne colle pas du tout.
Et il faut attendre la fin du film pour qu’on ait enfin droit à une ou deux idées de mise en scène originales, spoilées dans la bande-annonce bien évidemment. Ah et il y a aussi quelques faux raccords franchement grossiers, comme une nana qu’a le visage complètement ensanglanté sur un plan puis est tout propre avant d’être de nouveau tout ensanglantée, mais je suis plus à ça près. Evidemment, en allant puiser parmi de grands classiques de la musique ou de l’OST du premier Alien, l’OST de Covenant est correcte mais ce n’est pas en raison de compositions originales, j’ai donc du mal à en voir un point positif très fort. Bref comme pour Prometheus, pas moyen de sauver le désastre.
Peu importe comment on juge Alien Covenant, préquel de Alien, suite de Prometheus, film d’horreur, film d’action, film de science-fiction… il fait absolument out à l’envers et ses quelques qualités semblent relever de l’accident où ses ambitions et ses moyens exigent un bien autre niveau. Et je trouve ça plus dommageable à la saga Alien que Prometheus puisque, encore une fois, nous parlons ici d’un film Alien à part entière et non d’un préquel déguisé. Sorti la même année, je recommande bien plus le film Life dans un genre très proche. Pour moi, ce film et la sous-saga qu’ils forment avec Prometheus sont à jeter à la poubelle et je ne suis pas mécontent que le box-office en nette diminution, même si toujours rentable, a suspendu sa suite Awakening pour tenter autre chose, entre de nouvelles mains.
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Créée
le 12 janv. 2018
Modifiée
le 20 nov. 2024
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