Norbert Lingot du Z à la Française

La France aussi connaît son lot de réalisateurs ayant toujours œuvrés dans le cinéma bis voir carrément Z et Norbert Moutier A.K.A. NG Mount en est l'un des plus emblématique représentant avec Richard J Thomson , Antoine Pellissier ou dans une moindre mesure Bernard Launois. Norbert Moutier est un dingue de cinéma de genre, fondateur du fanzine Monster Bis, patron de vidéoclub et réalisateur d'une poignée de films complétement fauchés malgré des ambitions aussi nobles et sincères que démesurées. Avec l'amour du cinéma de genre chevillé au cœur, une bande de potes en guise d'acteurs, deux trois décors immuables (forêt, cave personelle, friche industrielle) et une poignée de billets en poche Norbert Moutier ne cessera de vouloir faire comme ses illustres modèles et références afin de nous livrer des versions française et fauchées de Jurassic Park, Massacre à la tronçonneuse, Predator ou Ré-animator. Réalisateur culte de Ogroff (1983) un slasher entièrement tourné en super 8 en forêt d'Orléans avec la crème de la planète fanzine de l'époque, Norbert Moutier réalisera par la suite plusieurs autres films comme Opération Las Vegas, Trepanator ou Dinosaur From The Deep mais toujours de manière totalement indépendante et amatrice. Alien Platoon qui date de 1992 convoque donc dans un même titre la science fiction culte de Riddley Scott et le film de guerre oscarisée de Oliver Stone pour un film qui finalement cite plus ouvertement Terminator tout en lorgnant du côté de Predator , quant au résultat il est plus proche de Robowar de ce bon vieux Bruno Mattéi avec une petite touche de bidasserie bien de chez nous.


Alien Platoon nous raconte l'histoire d'une expérience militaire qui tourne mal puisqu'un super soldat fabriqué avec un tueur fou sur lequel on a greffé un attirail cybernétique s'échappe dans la nature lors de sa présentation. Le gouvernement engage alors un groupe de mercenaires sans pitié afin de traquer et éliminer ce soldat d'élite dans la forêt tropicale de Fontainebleau.


Alien Platoon c'est du Norbert Moutier 100% pur jus, du bon gros concentré de cinéma Z fauché mais assumé sans ironie ni second degré. Contrairement à Richard J Thomson qui officiait aux limites du cinéma parodique, Norbert Moutier raconte toujours ses histoires avec un certain aplomb et sérieux. Peu importe le budget famélique, peu importe l'absence globale de professionnalisme, peu importe que l'on soit en France ; Norbert Moutier (également scénariste) a écrit une histoire de baroudeurs américains dans la jungle traquant une créature surpuissante digne d'un T-1000 et rien ne l'empêchera de raconter cette histoire. Forcément le fossé entre les ambitions et le résultat est une gouffre sans fond et le film devient un savoureux nanar mais Norbert possède cette douce naïveté de poète qu'il suffit parfois d'y croire pour que les choses se réalisent. Alors nous aussi on va essayer d'y croire , croire qu'un stock shot de Las Vegas et un drapeau américain de pacotille suffisent à nous transporter aux USA, croire à ce soldat d'élite dirigé avec un minitel en guise de super ordinateur, croire à ses armes à feu factices aux bruitages ridicules qui tuent sans jamais faire le moindre trou de balle , croire à cette histoire improbable bourré de twists tous plus incongrues les uns que les autres. Oui le cinéma de Norbert Moutier n'est pas un cinéma pour les cartésiens, pas plus que pour les cinéphiles et les esprits trop critiques ; c'est un cinéma qui demande de s'abandonner à l'indulgence presque naïve de l'enfance lorsque avec deux doigts on faisait "panpan t'es mort" à un pote déguisé en robot avec un carton de machine à laver.


Bien sûr Alien Platoon est un bien mauvais film mais il donne si souvent l'occasion de sourire et de se marrer qu'on lui pardonne volontiers ses réjouissants et magnifiques défauts. On retrouve au casting le réalisateur culte Jean Rollin (ami de Norbert) qui incarne ici sans aucune fulgurance le maître d'œuvre du projet scientifico-militaro-economico-diabolique consistant à recycler les tueurs en super soldat afin de faire des économies sur les prisons, les exécutions et les pensions militaires. On retrouve également Christophe Lemaire dans une courte apparition au début du film et le comédien Michel Finas qui avait travaillé avec Moutier sur son précédent film Trépanator. Le comédien rondouillard au physique de champion de concours de mangeur de choucroute incarne donc un soldat délite paranoïaque toujours énervé et s'avère aussi crédible en Rambo qu'une andouillette dans un rôle de spaghetti. Mais trêve de grossophobie primaire , Michel Finas n'est pas qu'un corps c'est aussi et surtout un bien mauvais acteur qui surjoue tellement qu'il semble hurler avec une conviction excessive la moindre petite ligne de texte. Alien Platoon reste un savoureux et généreux buffet garni de moments totalement improbables avec une baston dans un rade à coup de bouteille en plastique qui font un bruit de verre, de forêt de Fontainebleau transformée en jungle tropicale par la magie des bruitages ou de stock-shot de serpent venant attaquer les acteurs. Et comme si les images ne suffisait pas il faut saluer la bande son décalée, improbable et hilarante du film avec des vieux bruitages de jeu vidéo pour les bastons, des sons étranges pour les coups de feu et une musique le plus souvent proprement exaspérante. Si globalement on s'amuse bien il faut aussi reconnaître que Alien Platoon tire en longueur avec un sens consommé du remplissage et cette looooooooongue traque forestière ne sera durant l'immense majorité du film guère plus palpitante qu'une randonnée de scouts bavards en forêt. Heureusement la dernière demi-heure avec ces multiples rebondissements improbables réveille le cortex du spectateur ou termine d'achever les derniers neurones encore en activité.


Celles et ceux qui lisent régulièrement mes petites critiques savent sans doute à quel point j'aime ses personnages de doux dingues azimutés qui vivent la passion du cinéma au delà de tout le reste et de toutes considérations critiques ou artistiques. Norbert Moutier qui nous a quitté au tout début de l'année 2020 fait parti de ces doux rêveurs passionnés qui vivaient par et pour le cinéma et qui mérite forcément mon plus sincère respect . Le bonhomme n'avait peut être pas de talent , peut être n'avait il tout simplement pas les moyens de ses ambitions mais il avait incontestablement du cœur à l'outrage.

freddyK
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le 1 juil. 2021

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