En mettant en scène la vie de Chris The Legend Kyle, héros en son pays, Clint Eastwood surprend et dresse, par le prisme de celui-ci, le portrait d'un pays entaché par une Guerre meurtrière.
Finalement je ne m'attendais pas à ça venant du trente-quatrième long-métrage de Clint Eastwood, il opte ici pour une vision américaine de la vie de Kyle, ne cherchant pas à nuancer mais plutôt à cerner ce personnage, ou comment un cow-boy raté va devenir un des plus dangereux et puissant sniper de l'armée US. Pour cela, il s'intéresse aux origines de Kyle, notamment sa jeunesse où on lui apprend les valeurs du bon petit chrétien américain et où il apprend tôt à chasser et se servir d'une arme. Défendre son pays avec honneur, force et loyauté, pas de place dans ce monde pour les lâches, voilà comment grandit le gamin et déjà ça, c'est plutôt effrayant. D'ailleurs, Eastwood montre à peu près la même façon de faire lorsque Kyle deviendra père à son tour, il fait de celui-ci le reflet d'un pays et de sa société, un pays gangrené par la violence (que ce soit dans la culture populaire, les mœurs ou les idéologies) et ça, le metteur en scène de Gran Torino le montre très bien, que ce soit en Irak ou sur le sol américain.
Et que se passe-t-il lorsque Kyle découvre peu à peu ce qu'il se passe au Moyen-Orient via les médias américains ? Il sent son beau et grand pays en danger et décide donc de s'engager et d'aller défendre les siens. Et là encore, le but d'Eastwood n'est pas de donner une leçon d'histoire mais d'observer et d'approfondir le personnage de Kyle. Je n'ai pas ressenti un film patriotique, ni un film dénonçant totalement la guerre mais plutôt une oeuvre montrant son horreur et la façon dont elle change les hommes et surtout le portrait d'un américain qui a été éduqué dans cette violence et vision de la vie. C'est donc via un point de vue uniquement yankee (aucune remise en cause des agissements des militaires) qu'il l'analyse, mettant en avant ses doutes, ses peurs, ses objectifs et sa façon de penser. Il doit défendre son pays et ses camarades de combat et seuls ses deux objectifs lui tiendront à cœur. Eastwood n'oublie pas de l'humaniser aussi, notamment lors de ses hésitations et lorsqu'il se rend vraiment compte de l'horreur de la guerre. C'est aussi la façon dont cette guerre va le toucher à son quotidien qu'Eastwood montre tout cela, car finalement Kyle ne pourra jamais s'en détacher que ce soit par des visions, une fermeture sur soi ou ses aides vers des blessés de guerres, son seul moyen de se sentir bien. Il retourna régulièrement dans son pays, souvent entre quelques verres d'alcool et seul, avec ce sentiment d'abandon et sentant une indifférence du peuple et des médias sur ce qu'il se passe au Moyen-Orient. Pourtant à aucun moment il ne remet en cause ses missions et ses tirs, son seul regret se trouve dans les compatriotes qu'il n'a pas pu sauver, mort pour défendre un pays.
Derrière la caméra, Eastwood montre tout son savoir-faire et, assez vite, il rend ce personnage complexe intéressant et fascinant et nous immerge au cœur de sa vie. Il alterne entre les séquences au Moyen-Orient et celles aux USA, où Kyle tente tout de même de vivre une vie de famille "normale". Les passages en Irak sont d'ailleurs assez saisissants tant j'ai eu l'impression de me retrouver au cœur du conflit aux côtés des militaires américains. Eastwood n'hésite pas à montrer l'horreur humaine via cette guerre, l'absurdité et la violence qui planent sur tous les coins de rues. Il donne de la puissance et de l'intensité à son récit et plusieurs scènes sont mémorables à l'image des attentes et hésitations de Kyle (remarquablement campé par Bradley Cooper) avant de tirer. Le montage passant d'un endroit à un autre du globe est efficace et Eastwood ne commet aucune faute de rythme, ne sacrifiant jamais la psychologie de son personnage au profit de la guerre et vice-versa, mais trouvant toujours le ton juste et rendant son film haletant et passionnant.
Si je suis adepte du cinéma de Clint Eastwood, ce dernier avait proposé quelques déceptions depuis Gran Torino mais c'est un vrai retour en forme qu'il orchestre avec American Sniper, faisait d'ailleurs déjà polémique avant qu'il ne sorte. Loin de n'être qu'un vulgaire film de propagande, c'est un portrait effrayant et intelligent de la société américaine, sa façon de vivre, de voir le monde et ses mœurs.