Venant de terminer ma lecture d'Amerika de Franz Kafka, j'ai voulu voir ce qu'avait bien pu donner cette unique adaptation cinématographique et qui a, de surcroit, un certain succès d'estime.

Bon bah, je n'ai vraiment pas aimé ! Ce qui ne va pas dans ce film ? À peu près tout : direction des acteurs, adaptations, lieux et plans choisis…



Commençons par le jeu des acteurs justement : les textes sont répétés sans aucune émotion, littéralement, comme s'il fallait être le plus neutre possible ; les acteurs sont tout le temps statiques, renforçant leur neurasthénie… bref, j'ai eu l'impression de voir l'intégralité d'un casting qui s'était pris un balai dans le cul durant plus de deux heures. Le truc ici, c'est que c'est clairement volontaire de la part du couple de réalisateurs, Straub et Huillet, il suffit de regarder le making-of tourné par Harun Farocki pour s'en apercevoir, il y a eu des répétitions. Il y a donc une volonté de faire de l'anti-cinéma, une sorte de pseudo-théâtre filmé… quel est le but ? Je suppose que les fans des deux réal's seront justifiés ça, mais concrètement, en ce qui concerne Amerika, le film en lui-même ? Pour le profane ? J'ai eu l'impression d'être tombé sur un croisement improbable entre les dialogues de Fallout 4 et un sketch des Inconnus durant 2 heures de ma vie là ! Plus sérieusement, ce côté neurasthénique aurait pu avoir un intérêt si le personnage principal évoluait en ce sens : passant de plus en plus de quelqu'un d'émotif à quelqu'un de froid, comme si l'Amérique et/ou les rapports sociaux en étaient responsables, mais non. Les personnages les plus émotifs, finalement, ce sont les deux gros qui gèrent l'hôtel, les seuls à réellement s'énerver. Les autres sont vides, morts.

Allez ! Pour finir sur une note plus positive, le choix du cadre et l'utilisation de plan fixe ont tendance à isoler les personnages. M'enfin, bordel ! Si c'est ta seule idée de mise en scène en deux heures de film, faut se poser des questions.



Concernant l'adaptation, déjà, il me semble important de rappeler que je me fiche qu'une adaptation soit fidèle à l'œuvre d'origine ou non : ce que je veux, c'est un bon film, que le ou les réalisateurs s'approprient le matériau d'origine (pas pour rien que je considère Shining ou le triptyque dystopique de Verhoeven comme faisant partie des meilleures adaptations au cinéma). Concernant le film dont il est question ici, j'ai l'impression que les pires choix ont systématiquement été effectués : le long-métrage Amerika n'invente rien, n'adapte rien, il régurgite des lignes de textes qui semblent avoir été piochées aléatoirement, tout en prenant bien son temps pour nous montrer des moments sans aucune pertinence pour le récit. Le film a beau avoir été tourné en noir et blanc, on ne reprend pas le côté « chaplinesque » chère à Kafka, ce rapport au cinéma qu'il appréciait, le tragique mélangé à la comédie. On conserve le malaise et les humiliations de certains passages ceci dit.

Au niveau des scènes choisies, pour recouper avec ce que j'ai dit juste au-dessus, on dirait qu'ils ont sélectionné au hasard. Certaines scènes clés ne sont par exemple pas présentes ou ne durent qu'un bref instant. Cela apporte deux problèmes. Premièrement, un problème de rythme : Karl rencontre son oncle, scène suivante, il le quitte (définitivement). Le truc, c'est qu'une grande partie des dialogues ont été conservés tels quels : du coup, le film tente de nous faire croire qu'il y a eu une relation relativement longue entre deux personnages qu'on n'a vus que quelques secondes ensembles et qui n'éprouvent aucune émotion l'un envers l'autre. Ça ne marche pas ! L'autre problème, ou du moins l'interrogation que je me pose : c'est possible de piger ce qui se passe dans le film si on n'a pas lu le livre ? Entre le fait que certains personnages soient expédiés et le fait qu'il n'y ait aucune émotion venant de leur part, franchement, il faut s'accrocher.

Il y a un décalage entre ce qui est dit et ce qui est montré. On nous présente un hôtel censé être imposant, avec plusieurs ascenseurs, mais on nous en montre qu'un seul au détour d'un couloir minuscule : on n'y croit pas ! Je veux bien avoir de l'imagination, mais à ce compte-là, pourquoi filmer ? Le livre se suffisait à lui-même non ? Pourquoi ne pas avoir… « adapté » les dialogues justement ? Il y a un gros problème au niveau de l'espace donc : on ne les ressent pas, on doit les imaginer, comme si on avait déjà lu le bouquin, ce qui pose forcément un problème.

Mais en plus de ça, il y a aussi un souci au niveau de l'architecture, c'est clairement l'Allemagne qui est filmé. À partir de là, pourquoi assumer de filmer en Allemagne (l'architecture, la langue allemande, l'affiche écrite en gothique) mais faire comme si l'action se déroulait aux États-Unis ? Certes, il y a Amerika dans le titre, mais à ce compte-là, pourquoi ne pas avoir « twisté » le concept ? Adapter dans l'autre sens ? Critiquer le fait que ce soit l'Amérique qui soit venue en Allemagne et non l'inverse ? Faire preuve d'imagination quoi ?

La fin m'a définitivement achevé. On pourrait avoir des dizaines d'interprétations liées à celle du roman original, mais là, on nous filme un bête voyage en train, bien habillé, pour aller bosser à l'autre bout des États-Unis, en Oklahoma (on a bien corrigé la « faute » du roman original histoire de davantage appuyer sur le fait qu'on n'a rien pigé au livre).

Allez, pour finir sur une note plus positive, le fait que les intérieurs ne ressemblent pas tout le temps à l'extérieur donne un certain côté « fantastique » à l'œuvre, renvoyant aux rêves, à la perte de sens, des thématiques qu'on retrouve chez l'auteur d'origine.

Quoi que… maintenant que j'y pense, j'ai l'impression de vraiment pousser pour trouver des qualités à l'œuvre là ! Par exemple, au début du film, on nous montre la statue de la Liberté (fort probablement repris chez quelqu'un d'autre, m'étonnerait qu'ils se soient déplacés là-bas juste pour filmer ça). Quel intérêt ? Il y a Amerika dans le titre et vous répétez toutes les deux minutes qu'on est en Amérique, on a compris. Mais si je dis ça, c'est parce que dans le bouquin, la statue de la Liberté à un glaive… pas là. Du coup, à part niquer la seule qualité que je trouve à votre film, quel est l'intérêt ? Surtout qu'à côté de ça, on a aussi la statue de Klaus Störtebeker, le « Corsaire rouge », qui est filmée au tout début. Bon bah voilà, vous l'avez votre statue ! Vous avez même sa devise qui s'accorde à votre film, « Ami de Dieu et ennemi du monde ». Certes, pas très subtil, mais pour le peu qu'il y a, je prends.



Bref, Straub et Huillet ne sont pas arrivés à s'approprier l'œuvre de Kafka, et encore moins à l'adapter. C'est à se demander pourquoi avoir choisi un tel titre tant l'Amérique et les rapports de classe sont absents (à moins qu'ils évoquent la classe dans le sens qu'être classe, c'est être chic dans sa manière de s’habiller ?). Dans ce sens, on notera que tous rapports des juifs avec l'Amérique ont été occultés… une broutille là encore… probablement… à l'image du film quoi.

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le 19 sept. 2024

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