Persona
Anomalisa est un bon film-concept. Cependant, comme tout film-concept, il obéit à une mécanique qui, bien que finement élaborée, ne tient qu’un temps. La première demi-heure est absolument...
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le 30 janv. 2016
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Un projet de Charlie Kaufman, à l’écriture et à fortiori à la réalisation, est toujours surprenant et son pitch est à chaque fois soit informulable, soit d’une couleur insolite sans commune mesure. Si son nouveau film étonne aujourd’hui, c’est avant tout par la banalité affligeante de son sujet, la nuit dans un hôtel d’un homme marié, son désœuvrement et son infidélité d’un soir.
La question qui se pose d’emblée est celle du recours à l’animation en stop motion pour traiter d’un tel sujet : dans un premier temps, on y voit une coquetterie, le petit frisson un peu vain de la primeur, à savoir un film pour adulte, avec un langage ordurier, un magasin de sex toys, un homme nu, puis une relation sexuelle dont on n’épargne pas grand-chose.
Mais à mesure que le temps passe et que l’atmosphère s’impose, les choix esthétiques s’affinent. Il est bien évident que dans cette modulation sur les rapports humains très proche de Lost in Translation, la tristesse d’un monde régi par les manuels d’entreprise sied parfaitement aux pantins animés. Le protagoniste, grand prêtre de la relation client qui fait gagner 90 % de productivité à tous ses lecteurs, débarque dans une ville où tout le monde semble appliquer ses préceptes, dans une exposition en temps réel distillant une angoisse tout à fait inédite sur ce genre d’esthétique. Répétition des codes, aseptisation des décors, le tout à destination d’un quinqua qui n’y croit plus depuis longtemps, mais joue le jeu, tout comme avec sa famille.
L’animation a toujours permis de montrer ce que les images en live ne pouvaient restituer : un monde imaginaire, des personnages exemplaires, en bref, du merveilleux. Il est fascinant de voir les réalisateurs s’attacher à reproduire ici tout ce qui fait la maladroite banalité des individus. La rencontre avec Lisa, complexée et elle aussi terriblement commune, va en occasionner un grand nombre : trébuchements, tête qui se cogne contre le lit, partenaire qui s’appuie involontairement sur ses cheveux, position sexuelle inconfortable… de même que des corps aux bourrelets disgracieux ou la durée d’un rapport peu conventionnel dans un récit, tout est décapé pour donner à voir les pantins tristement risibles que nous sommes.
On pourrait y voir une certaine méchanceté, et le film n’en est pas dénué. De par sa conclusion, d’une lucidité noire, de par son formidable cauchemar aussi, lorgnant vers les labyrinthes de Lynch, mais qui permet aussi de révéler la naissance de l’amour : Michael Stone y comprend qu’en cet instant, le monde entier est une seule personne, amoureuse et possessive, tandis que Lisa s’en distingue. Un bel artifice avait déjà permis, dans le réel, de lui donner un attrait unique : sa voix. Dans cet univers standardisés, les mêmes visages occupent des fonctions différentes, toutes liées à la relation client, à l’exception de l’ex petite amie avec laquelle les retrouvailles seront un fiasco, à imputer à la rustrerie du protagoniste. Mais surtout, tous ont la même voix, y compris les femmes qui sont affublée d’une voix masculine. Sauf Lisa.
La séduction passera donc par cette voix d’une distinction bouleversante, sur le modèle de celle de l’OS dans Her, au sein d’une scène de séduction fantastique où l’homme perclus de désir obtiendra de sa conquête qu’elle lui chante un tube de Cindy Lauper.
(Spoils)
Instant suspendu, grêlé par les maladresses des deux amants conscients de leurs imperfections, mais touchants par elles : le film tourne autour de cette scène matrice, qui ne pouvait éclater sans les langueurs qui la précèdent, ni le noir réveil qui la brisera, dans une scène terrible de petit déjeuner où la voix déifiée la veille commence irrémédiablement à rejoindre la tessiture de la masse.
Qu’importe l’après, qu’importe la victoire du monde dans cet épilogue glacial où l’on a pour seul interlocuteur autour des gens « qui vous aiment », un autre pantin, plus étrange encore que celui qu’on est soi-même. Il y aura eu cela, de la même façon que les souvenirs amoureux sont le sel de la vie dans Eternal Sunshine of the Spottless Mind : cette déchirure dans la norme, cette anomalie qui portait le nom de Lisa, et qui chantait avec grâce : « I want to be the one to walk in the sun ».
(7.5/10)
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le 10 févr. 2016
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