Et si Antichrist, dernier né du réalisateur danois Lars von Trier, était finalement, esthétiquement et formellement, le film le plus ambitieux qu'il ait jamais fait ? Bien sûr, Antichrist se veut surtout et avant tout choquant, dépassant les frontières de la pudeur horrifique jusqu'à la surenchère sinon l'écoeurement, avec son aliénation misogyne pleine de violence et de superficialité. Son érotisme forcené tend trop rarement vers l'épure pour comprendre et éclairer la pensée humaine sur les différentes strates de la pulsion, tant émotionnelle que charnelle.

Et pourtant, il y a derrière l'esprit dérangé d'un cinéaste qui se perd dans cette semie-histoire de couple aux portes des enfers et tentant d'y trouver le salut après la perte de leur enfant un oeil prodigieux, un goût pour la destruction du soi magnifiquement mise en abîme à travers trois chapitres analytiques au sein desquels la psychose des sens est glorifiée au profit d'une atmosphère aussi pesante que les images les plus béotiennes jalonnant les quelques 1H44 du film. Le prologue est à ce titre époustouflant de grâce et de splendeur, précurseur d'une série d'images dont la magnificence laisse pantois au point d'oublier que c'est l'épouvantable qui quelque part, dans l'ombre d'un plan, rôde et pestifère, dans une nature toujours plus mise à l'épreuve par le regard de von Trier. La verdure n'a aucune morale dans le monde de cet homme, sinon d'être la conjugaison des instincts les plus fourbes et de la conscience la moins noble. Le dédale de ses contre-courbes pousse à la dysharmonie mentale, jusqu'aux abords d'une frontière que l'on évite de franchir de peur de faire face à son propre reflet.

Lars von Trier, lui, ne recule pas. Filmant les corps et les coeurs de ses deux acteurs habités, Charlotte Gainsbourg somptueuse de perversité et de détresse, Willem Dafoe bouleversant de justesse et d'opacité, il nous offre une oeuvre cinématographique certes licencieuse et indécente, mais également une expérience loin des clivages de la bienséance quand il y a besoin de retrousser les manches pour attraper le diable par les cornes. C'est parfois à ce prix que l'on peut donner ainsi un visage à nos démons.

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le 20 mai 2012

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Kelemvor

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