Après mai par Patrick Braganti
En faisant de son jeune héros Gilles son alter ego, son double, le réalisateur Olivier Assayas livre donc une vision personnelle et autobiographique du début des années 70 : mai 1968 est déjà à la fois loin, surtout pour des lycéens trop jeunes à l’époque pour avoir participé à l’effervescence et au tumulte, et encore proche dans l’esprit libertaire qu’il a su faire souffler et imprimer dans les esprits marqués par des décennies de coercition, sinon de privations – la fin de la Seconde Guerre mondiale ne date après tout que de vingt ans. Ce n’est que quelques années plus tard que la première crise économique sévère (le choc pétrolier) viendra refroidir les ardeurs et inaugurer une période plus sage, conservatrice. Un coup de sifflet brutal qui annonce la fin de partie (l’apparition du sida mettant alors un sérieux coup d’arrêt à la liberté sexuelle, sans doute le résultat le plus significatif de cette révolution d’étudiants bourgeois qui peineront toujours à rallier les suffrages de la population ouvrière). Le réalisateur de Carlos (autre reconstitution brillante de l’époque en question, dans un registre différent, mais certainement plus réussi) opte pour un parti pris d’artiste et d’esthète : les événements de mai 68 permettent de manière indirecte à Gilles de révéler ses ambitions comme dessinateur et peintre grâce à des voyages en Italie d’abord (où il s’agit alors de se mettre à l’abri suite à une effraction nocturne au lycée qui a mal tourné), puis à Londres. S’il n’y a rien à redire de la reconstitution historique, on reste davantage circonspects sur l’ambition du film. Le regard porté par Olivier Assayas sur Gilles (et forcément sur lui-même dans une démarche introspective qui n’évite hélas pas la complaisance quasi narcissique et le remodelage des souvenirs, mais la mémoire s’avère trompeuse et sélective le plus souvent) est ambivalent : d’un côté, il en fait un jeune homme déterminé à exercer son art, et peut-être à en vivre un jour, et d’un autre, un garçon évanescent et mou, semblant flotter sur les événements aussi bien collectifs – un formidable terrain de jeu où se défouler - que privés – il subit plus qu’il ne choisit ses relations sentimentales. Après Mai manque ainsi cruellement de fougue et de passion comme si cette bande de jeunes gens plutôt privilégiés, évoluant dans un monde aisé et cultivé, n’était guère contaminée par les espoirs suscités par la révolution estudiantine. Ça en devient carrément gênant lorsque le réalisateur de Clean fait dire à son héros qu’il fuit le réel, qu’il s’en tient éloigné, se révélant au final incapable du moindre risque, préférant la fuite vers l’Angleterre. On pourrait dès lors envisager le film comme une parabole sur la fin des illusions et le désenchantement, mais cette impression est contredite en partie par les propos du réalisateur (rencontré en avant-première) qui persiste à voir en mai 68 le moment d’expression ultime d’une contre-culture, mettant du coup au second plan les enjeux sociétaux qu’il ne semble pas percevoir. Il y aurait là comme l’embellissement sans doute légitime d’une adolescence rêvée, presque fantasmée. La musique (et Olivier Assayas, famille oblige, est un érudit et un fervent amateur, notamment des courants underground anglais) et les fêtes gentiment décadentes participent largement à cette atmosphère de flou et d’irréalité, certes pas désagréable, mais qui ne rend compte que très partiellement et avec une subjectivité criante, d’une décennie où tout paraissait encore possible.