Passion coupable ou simplement irresponsable ?
Bien sûr il y a le ton et les codes imposés à une dramatique télé France 2 à gros budget...
Bien sûr certains argueront que c'est académique jusqu'aux effluves de naphtalines...
Mais quelle histoire nom d'une pipe !
Et quelle incroyable bonne femme que cette Léonie Bathiat !!!
Un récit mêlant aussi intimement romance et suspense historique est même assez culotté et il n'est pas anodin qu'il eut fallu soixante ans avant que le cinéma s'empare d'un matériau aussi brûlant et incroyablement romanesque.
Entre amours saphiques et romance avec l'ennemi, le moins qu'on puisse dire est qu'Arletty n'était pas une femme lisse et domestique. Et le film lui rend un vibrant hommage en ne lui tressant jamais de lauriers malgré la bienveillance évidente que lui portent Arnaud Sélignac autant que Laetitia Casta.
Parlons d'ailleurs de Casta, absolument épatante dans le rôle par l'intelligence instinctive avec laquelle elle amène Arletty à elle plutôt qu'à la singer. Bien sûr elle voûte un peu le dos, modifie sensiblement sa démarche et sa voix, mais jamais elle ne cède à l'imitation et elle parvient ainsi à ne jamais nous faire oublier Arletty ni Casta mais bien à composer avec une belle vigueur une des plus beaux personnages qu'on puisse imaginer.
Son travail s'apparente en cela à celui d'Ulliel dans Saint Laurent qui jouait sur cette même idée de ne pas tomber dans une imitation qui sentirait forcément vite la caricature...
Et on ne dira jamais assez comme Laetitia Casta démontre cette fois encore et sans doute mieux que jamais la comédienne vibrante qu'elle est. Son énergie et son émotion déborde de chaque plan et elle parvient même à toucher avec une justesse incroyable à la si singulière ironie d'Arletty en l'épousant comme sienne.
Le reste du casting est au diapason de sa composition, jusque dans les plus brèves apparitions, de Michel Fau (Guitry) à Marc Citti (Prévert), chaque comédien adopte cette stratégie du gimmick (la clope de Prévert, par exemple) pour faire oublier l'écrasante ombre des personnages incarnés et la transformer en lumière.
De ce point de vue là, le Arletty de Sélignac devient du vrai cinéma et surpasse bien des biopics.
Et puis, cela pourra paraître anecdotique mais s'il y a bien un domaine dans lequel le film ne sent jamais la naphtaline, c'est très justement dans sa direction artistique: costumes et décors nous plonge totalement dans les années 40 sans qu'à aucun moment on ne renifle la reconstitution. Cela participe énormément à la réussite du film et notamment à son suspense: malgré le luxe et les apparats, jamais on ne perd de vue les enjeux dramatiques qui sont ceux de la France en guerre, de l'occupation nazie, de la résistance et de la collaboration...
Mais outre la composition des acteurs, la direction artistique et un récit passionnant - presque trop beau pour être vrai - la plus belle réussite du film tient à son scénario, superbement écrit et génialement dialogué. On se régale sans réserve à chacune des saillies humoristiques d'Arletty et les mots sont de larmes et de plomb lorsque le film prend des accents plus tragiques. L'adaptation du livre d'Yves Riou & Philippe Pouchain par Arnaud Sélignac & Jean-Luc Seigle est un véritable travail d’orfèvrerie, un bonheur de spectateur et un cadeau magnifique pour tous les acteurs.
Alors, après tout ça, l'académisme télévisuel de la mise en scène, au fond, on s'en contrefout, non ?!
On a ri, on a vibré, on a admiré et on a pleuré...
Que demander de plus ?