Cid Errant

Le cinéma a toujours su puiser son inspiration dans la grande littérature à l'image du récent Comte de Monte Christo, car quand la puissance du texte s'allie à la force de l'image on obtient des œuvres intemporelles qui marquent à jamais les esprits . Par contre quand Le Cid de Pierre Corneille rencontre Michel Caputo réalisateur émérite de films tels que J'ai Pas de Culotte, L'Aubergine est bien Farcie, Blanche Fesse et les Sept Mains ou Un Taxi Pour Que J'te broute ça nous donne Arrête de Ramer t’attaques la Falaise aussi appeler Qu'il Est Joli l'Assassin de Papa, comédie totalement foutraque sorti sur les écrans en 1979 qui marquera surtout les esprits pour son abyssale nullité.

On retrouve donc dans Arrête de Ramer t’attaques la Falaise les grandes lignes de l’œuvre de Corneille avec le mariage de Chimène et Rodrigue, l'invasion de Maures , les querelles entre Don Diegue et Don Gomez mais le tout dans une ambiance pouêt-pouêt de fin de banquet arrosé à la villageoise.

Première comédie de Michel Caputo qui récidivera plus tard avec des films comme Les Planqués du Régiment ou Si Ma gueule Vous Plait est un film qui ne peut être décrit autrement que comme une expérience étrange, une sensation épisodique de mort cérébrale avec l'impression de voir une sorte de troupe de théâtre de boulevard expérimental et anarchique s'amuser à piétiner un grand classique pour le simple plaisir de dire qu'il ne faut rien respecter et que la tragédie poussiéreuse n'est pas sérieuse. Forcément ce pauvre Corneille qui n'avait rien demandé n'a pas fait que se retourner dans sa tombe au dernière nouvelle il serait encore en position tourne broche à essayer de retrouver le repos. Il faut dire que ce bon Michel Caputo va constamment mixer les grandes tirades en vers de l'auteur avec des dialogues un tout petit peu moins inspirés et brillants comme : " J'ai pas d'hosties mais j'ai sauvé le pinard -  - Mon beau cucu mon beau curé – Pourquoi elle pleure elle aussi elle peut pas s'acheter de culotte – Je vous emmerde à la petite cuillère - Tu m'as l'air aussi intelligent qu'une limace qui sort des fraises - Le soldat ne fuit jamais c'est le robinet qui fuit ou On ne baille pas au Corneille " . Parfois Michel Caputo se rappelle à ses premières amours du dialogue fleuri du style: " Dis moi le petit Cid il bande tu la jardine, comment tu la prends en levrette ? " ou le film se lance dans des considérations philosophiques et métaphasiques on l'on s’interroge du pourquoi du comment des betteraves rouges qui font du sucre blanc pour le café noir ; forcément au milieu de tout ça les Va je ne te hais point ou Rodrigue avez vous du cœur font clairement figure de choc des cultures tel un prélude de Bach au milieu d'un concours de pets. Mais le texte ne serait rien sans des interprètes à la hauteur et Arrête de Ramer t’attaques la Falaise nous offre un festival ahurissant de cabotinage de comédiens et comédiennes en roue libre total dans le n'importe quoi. Ça hurle, ça déclame, ça lit son carrément texte, ça improvise et souvent ça semble beaucoup s'amuser de sa propre bêtise à l'image de Bernard Haller hilare en curé postillonnant son croissant sur les mariés Chimène et Rodrigue. On sent que Michel Caputo a laissé son casting en freestyle total et qu'il n'a pas du souvent réclamé une seconde prise ce qui donne de jolis moments de grand bordel mal calibré comme lorsque Michel Galabru éructe : " Maman j'ai peur, j'ai pas pieds rallumer la lumière "… Vous aurez aussi droit à des tirades du Cid ponctuées par des bris d'assiettes, bruitées à la bouche ou mimées par des figurants du moins tant qu'ils savent quoi faire pour illustrer les vers de Corneille.

Le plus consternant c'est que de toute cette agitation frénétique, de toute cette recherche du bon mot et de cette gesticulation permanente du casting il n'en ressort quasiment rien de comique. Hormis peut être Daniel Gelin presque sobre les reste du casting devient assez vite gonflant de l’hystérie de Bernadette Laffont, aux colères surjouées de Galabru en passant par les délires de Bernard Haller ou Patrick Messe qui la bite à l'air chante qu'il n'ira pas à la douche, tous sont particulièrement fatiguant à la longue même si je ne doute pas qu'il se soit fort amusés lors du tournage. On a un peu la même sensation que face à un gosse hyper-actif qui hurlerait des conneries en courant dans tous les sens et que l'on a envie de sécher d'une bonne droite discrète lorsqu'il passe à longueur de bras. Une seule scène m'aura fait sourire avec un dialogue champ contre champ durant lequel Michel Caputo s'amuse d'innombrables et énormes faux raccords les deux acteurs changeant de couvre chef et de pilosité à chaque plan. Le film s'achève sur un dromadaire qui dit " il a un drôle de goût ton chewing-gum" à un américain qui se barre en disant qu'il en a ras le bol de ces conneries, quant aux spectateurs il renifle les derniers neurones qui lui coulent du nez en se demandant l'air ahuri ce qu'il vient de subir comme trépanation.

Reste alors l'éternel débat nanar ou navet ? Le nanar étant un film prétendument sérieux qui fait rire par sa médiocrité, peut on considérer d'un film prétendument drôle qui ne fait même pas sourire de sa nullité qu'il est digne de rentrer dans cette catégorie de mauvais films sympathiques ? C'est presque un sujet philosophique sur lequel je vous laisse méditer