Ça commence comme Jules et Jim, par un triangle amoureux où deux hommes Zang et Lianzi sont épris de Fenjang, une jeune femme rayonnante de beauté et de joie de vivre.
On pourrait alors s'attendre à ce que le film s'attache pour l'essentiel à jouer sur cette problématique amoureuse initiale et à démêler l'écheveau des sentiments contradictoires qui en résulte. Et on se trompe. Car l'ambition de Zhang-Ke Jia est tout autre.
Certes nous suivons nos trois personnages dans les destins qu'ils se choisissent où auxquels ils doivent se résigner mais seulement jusqu'à un certain point. Ensuite, le film bascule vers le vrai sujet, celui qui intéresse d'abord le réalisateur : l'identité que la Chine se forge depuis une vingtaine d'années et la difficulté pour les Chinois de concilier une modernité à marche forcée vers le capitalisme d'état et un attachement à des traditions millénaires.
Car nos trois personnages ne sont pas tant éreintés par cette histoire d'amour déchirante posée au tout début du film que par la transformation incroyablement rapide de leur univers : transformation en trois étapes, symbolisée dans des choix de mise en scène évidents : de longs plans de paysages urbains en chantier, filmés en format carré, évoluant dans la dernière partie vers un format scope où la Chine non seulement s'est "élargie" aux continents voisins (l'Australie ici) mais où lumière et technologie hightech ont remplacé l'atmosphère blafarde et industrielle de la Chine du charbon.
Deux de nos trois personnages semblent ainsi avalés par l'Histoire, Lianzi, l'homme des mines, du "passé" donc, disparait littéralement. Zang, l'homme de l'argent se dilue dans le monde aseptisé qu'il s'est construit à coups de milliards, le plus loin possible de la terre dont la pauvreté lui faisait honte. Reste Fenjang. Attachée à ses racines, à son père, à ses traditions, elle paye elle aussi le prix fort : séparée de son fils parti "au delà des montagnes" et de ses deux premiers amours détruit l'un par l'argent dans sa dignité, l'autre dans son corps par le charbon.
Le fruit de cette histoire, un fils ironiquement prénommé Dollar, devient le sujet principal d'une dernière partie particulièrement audacieuse et bouleversante, que je vous laisse le soin de découvrir. Le réalisateur continue de nous y surprendre, nous offrant une perspective inattendue dans ce qui apparait au final comme un triptyque magistral sur l'histoire contemporaine de son pays : hier, aujourd'hui et demain.


Personnages/interprétation : 8/10
Histoire/scénario : 7/10
Mise en scène/réalisation : 9/10


8/10

Theloma
8
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le 2 janv. 2016

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Theloma

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