Il a toujours été délicat de catégoriser de manière précise le cinéma d’Albert Dupontel. Si la comédie domine, le grotesque y côtoie souvent les grincements de la satire, et le baroque formaliste s’y permet des détours du côté de la noirceur la plus vigoureuse. C’est ce qui fait sa patte, et qui permettait d’espérer de grandes et belles choses pour cette adaptation du prix Goncourt 2013.


Et de beauté, il sera en effet beaucoup question. Sur un sujet on ne peut plus romanesque, mêlant la satire des affaires d’après-guerre qu’on entrevoyait déjà dans La vie et rien d’autre et les jeux d’identité sur des mystifications (on pense au récent Frantz d’Ozon), Dupontel se voit servir une profusion qui lui va comme un gant. La charge est violente et le constat sans appel sur la complicité corrompue de la société à la boucherie héroïque, du trafic des cercueils au sort des poilus de retour à la vie civile. Les crapules pullulent, et la revanche proposée par une gueule cassée (Nahuel Perez Biscayart, qui après 120 bpm, ne s’embarrasse plus de son accent puisqu’il ne prononcera pas un mot audible du film et laissera le soin à ses yeux azuréens de faire passer toutes ses émotions) est effectivement assez jouissive : escroquer les vivants en leur vendant des monuments aux morts, l’idée ne manque pas de piquant, et l’équipée un peu branque de l’infirme, du troufion et de la môme peut se révéler attachante.


Mais le thème de la fraude va l’emporter sur tout le reste. Les masques, les miroirs, les faux semblants et les twists saturent un récit qui ne craint aucun deux ex machina pour s’assurer de retomber sur ses pattes, au détriment d’une crédibilité qui aurait pu garantir davantage d’émotions. C’est d’autant plus regrettable que les séquences les plus ostentatoires (réservées savamment pour la bande-annonce) sont souvent réussies, à l’image de ce jeu de massacre des dirigeants au Lutetia, ou la jolie variation des faciès du personnage principal, plasticien avisé en matière de travestissements.


C’est là le paradoxe de ce film ambitieux, épique et ample : par son formalisme, sa volonté de ratisser très large en termes d’émois, sa photo un peu trop travaillée et ses effets de manche constants, Au-revoir là-haut finit par se révéler trop exhibitionniste. Bien entendu, ces mouvements de caméra ostentatoires attestent d’un talent certain du réalisateur, mais cette pose permanente frise le cache-misère par instants.


Car esthétiquement, la légèreté domine, l’aspect bande-dessinée, voire cartoon l’emportant sur la dimension pathétique ou tragique que les problématiques pouvaient induire. Les personnages sont caricaturaux, particulièrement l’immonde méchant qu’est Laurent Laffite et les potiches cireuses que sont les femmes, et ces plans-séquences virtuoses, ces chromos nous renvoient davantage à du Jean Pierre Jeunet versant Un long dimanche de fiançailles qu’aux tranchées parcourues par Kubrick (pourtant bien singé) dans Les Sentiers de la gloire.


Il faut aussi préciser une chose : le récit sur lequel s’appuie tout ce déferlement baroque n’est pas particulièrement fin : les coïncidences s’enchainent, les raccourcis s’accumulent et la vaste arnaque fomentée par les personnages finit par devenir celle du récit lui-même, à l’image de ces dénouements foutraques, entre un suicide cousu de plumes bleues et un twist happy end franchement irritant.


Lorsqu’il commente les œuvres de son compagnon, Albert (Dupontel, pas très bon, il faut l’admettre), explique : « Tes dessins, ils sont bizarres, mais font vrais », une définition qu’on croirait voulue pour le film. Au moment où il doit improviser pour dire du bien de l’homme très haut placé qui l’interroge, il ne cesse d’employer le terme « joli », incapable de trouver d’autres arguments. Dommage que son film penche davantage du côté de la deuxième proposition que de la première.

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le 3 nov. 2017

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